jeudi 7 avril 2016

J'ai du mal avec le voile et je n'ai pas honte de le dire. Ce n'est pas "raciste"


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Par Marguerite Stern
Citoyenne militante
LE PLUS. En comparant les femmes voilées aux "nègres favorables à l'esclavage", Laurence Rossignol a réveillé le débat autour du port du voile. Est-il l'expression d'une liberté ou l'image d'une discrimination ? Marguerite Stern, militante féministe, a tranché : pour elle, le voile pose problème et elle l'affirme sans détour.

J'ai du mal avec le voile. Oui j'ai du mal avec le voile et je n'ai pas honte de le dire. Et je ne crois pas que cela fasse de moi une idiote xénophobe. Quant aux potentielles accusations d'islamophobie, je ne les comprends pas très bien non plus, ce terme me semble plus être un mot valise bien pratique puisqu'on ne sait pas vraiment ce qu'il désigne.

Du voile des bonnes sœurs à celui de certaines femmes juives en passant par le sari indien et le voile islamique, aussi coloré puisse-t-il être... J'ai du mal avec le voile.

Ce n’est pas raciste d’être contre le voile
Et j'en ai ras-le-bol d'être systématiquement taxée de raciste à chaque fois que je m'autorise à affirmer ce point de vue. Comme si religion et couleur de peau étaient toujours liées. Ne vous en déplaise, il y a des femmes blanches musulmanes, et des femmes noires et arabes athées, juives, catholiques ou polythéistes. La critique d'un dogme religieux ne va pas nécessairement de pair avec une pensée raciste. Ne faisons pas d'amalgames comme vous dites.

Sachez qu'il est possible, et pas du tout antithétique d'être favorable à l'ouverture totale des frontières par exemple, et de se permettre de critiquer le port du voile en même temps. Tout comme on peut vouloir de tout cœur que la France soit multicolore et affirmer par ailleurs que Mahomet était polygame. On peut penser que le métissage est l'une des plus belles choses au monde et affirmer que le Coran n'est qu'un ramassis d'insultes sexistes, homophobes et antisémites.

C'est mon cas. Et je suis très énervée qu'on ne puisse pas le comprendre car les choses ne sont pas toujours binaires.

On naît noir ou arabe mais on devient musulman. La couleur de peau fait partie de ce qu'on appelle l'innée, mais la religion est plutôt quelque chose que l'on acquiert avec le temps, comme la culture. Voilà pourquoi il est acceptable de la critiquer.

C'est "l'esprit Charlie" que j'invoque ici.






Dessin de Charb

J’ai eu l’impression qu’on niait mon existence
Je ne fais certes pas partie de la communauté musulmane, et je n'en serai jamais. Mais le voile, j'ai eu l'occasion de le porter alors je peux vous en parler, un peu.

C'était quand je me suis retrouvée emprisonnée en Tunisie pour avoir mené une action Femen avec deux autres activistes. À l'occasion de chaque procès, juste avant de nous présenter devant le juge, des policiers nous recouvraient de la tête aux pieds d'un "safsari" ("vêtement" traditionnel tunisien) alors que nous étions menottées.

Par ce geste, j'ai eu l'impression qu'on niait mon existence. Qu'on me réduisait à une sorte d'objet vivant. Que je perdais tout ce qui me rendait unique puisque de dos ou de profil, plus rien ne pouvait me distinguer des deux autres accusées. C'était comme si ce voile venait se mettre entre le monde et moi. Comme si on m'excluait violemment de l'humanité.

Je vous rassure tout de suite : j'accepte très bien la présence de musulmans en France, tout comme j'accepte la présence des catholiques dont les dogmes religieux m'exaspèrent tout autant mais j’estime avoir le droit de m'exprimer contre un dogme, et aujourd'hui plus spécifiquement contre un "vêtement" que je juge discriminatoire à l'encontre des femmes.

Et ça n'est pas parce que je suis née en France d'une mère française et d'un père portugais que je n'ai pas la légitimité de m'exprimer là-dessus. De la même façon, j'estime avoir le droit de m'exprimer sur les droits des homosexuels, même si je ne pas homosexuelle. C'est le sens et l'importance du débat public qui est en jeu ici.

Le voile suggère que l’homme et la femme ne sont pas égaux
On disait donc que j'ai du mal avec le voile. J'ai du mal avec ça parce que j'ai du mal avec tout ce qui suggère que femmes et hommes ne sont pas égaux. Or, c'est exactement ce que le voile suggère. Si une certaine tradition qui se veut islamique prétend qu'il faut couvrir les femmes, alors pourquoi pas les hommes ?

Je pose la question, mais en fait je sais très bien pourquoi : il paraîtrait que nous les femmes, nous sommes terriblement attirantes. Attirantes au point que le moindre centimètre carré de peau laissé à l'air libre pourrait déclencher une sorte de désir animal irrépressible de la gente masculine. Comme si ces messieurs n'étaient pas capables de contrôler leurs pulsions sexuelles.

Alors oui, les femmes sont belles. Les femmes sont désirables, elles ont des formes, elles sont magiques. Mais être belle et magique n'est pas une raison suffisante pour être privée à vie de sentir le vent dans ses cheveux. Et au passage : moi aussi j'en ai des pulsions sexuelles, mais je suis capable de les contrôler et j'arrive très bien à mener une vie normale sans que l'objet de mes désirs ne soit recouvert de la tête au pied.

Et si on changeait le regard des hommes ?

Venons-en à la signification profonde du voile. Si certaines femmes le portent, c'est soi-disant pour préserver leurs corps pour Dieu. Mais elles peuvent l'enlever devant leurs maris, leurs pères, leurs frères et leurs fils, ou devant d'autres femmes. Il s'agit donc bien de se préserver du regard masculin avant tout.

On en revient à la même chose : les femmes sont désirables. Mais elles le sont parce que nos sociétés patriarcales en ont décidé ainsi. Parce qu'une fois qu'on les désigne comme telles, il est alors bien plus facile de les mettre à part, en prétextant qu'on veut les protéger.

Et si le problème était du côté des hommes ? Si ça n'était pas l'apparence des femmes qu'il fallait changer mais plutôt le regard des hommes ? Car le voile ne résout aucun problème, au contraire, en cachant la chevelure des femmes, il ne fait que perpétuer cette idée patriarcale qui voudrait que les corps des femmes soient infiniment plus sexués que ceux des hommes. Car cacher quelque chose, c'est le désigner comme intime, honteux, obscène ou sexuel.

Or, pourquoi les cheveux des femmes le seraient plus que ceux des hommes ?
Une façon de perpétuer le patriarcat

Alors pour toutes ces raisons, voir des femmes voilées dans la rue, ça me touche. Je sais bien que la majorité d'entre elles le choisissent. Quoique je me demande si l'on peut réellement parler de choix quand on évolue dans un cadre religieux qui vous rappelle en permanence qu'en tant que femme, vous vaudrez toujours moins qu'un homme.

Ça me touche parce que quand une femme se voile alors qu'elle a la possibilité de ne pas le faire, elle choisit de perpétuer le patriarcat au lieu de se révolter contre cette oppression millénaire. Ça me touche parce que le port du voile participe à donner une certaine image non pas des femmes musulmanes, mais des femmes en règle générale.

Le système patriarcal use de différents stratagèmes pour contraindre les corps des femmes, mais partout sa fin est la même : réduire les femmes au rang d'objets sexuels.

Si l'on veut obtenir une réelle égalité femmes-hommes, c'est toutes ces formes de soumission qu'il faut combattre en même temps parce qu'elles s'auto-alimentent. Les corps des femmes doivent cesser d'être des champs de bataille, que ces batailles soient d'ordre religieux, économique ou culturel.

Ne pas accepter la soumission
Loin de moi la volonté d'être condescendante envers les femmes voilées. Parce qu'elles sont femmes avant d'être musulmanes, je les reconnais comme mes sœurs. J'ai la volonté d'être claire et honnête, mais pas agressive. Je ne crois pas valoir mieux qu'elles.

Des oppressions, j'en subis aussi, j'en accepte peut-être même certaines sans m'en rendre compte. Et si c'était le cas j'aimerais mieux qu'on me le dise plutôt que de considérer que je ne suis pas capable de comprendre.

Alors oui, quand on estime être oppressé, en général on essaye de se défendre. Mais parfois, la soumission, on l'accepte et on l'aime. Cela s'apparente au syndrome de Stockholm et ça n'est pas mon invention.

Love, peace and equality.

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