dimanche 1 mai 2016

Arriver (et partir) de loin

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Un groupe de réfugiés syriens a été initié à la cabane à sucre… sans les oreilles de Christ, bien entendu.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Un groupe de réfugiés syriens a été initié à la cabane à sucre… sans les oreilles de Christ, bien entendu.
Au Québec, les quelque 1000 réfugiés syriens qui sont parrainés par l’État sont installés en région. Récit des défis d’intégration, dans la très francophone ville de Saint-Hyacinthe. Premier d’une série de trois textes.

Des femmes portant le hijab regardent avec une certaine méfiance un plat d’oreilles de Christ. « Ça, c’est non », disent en agitant l’index les interprètes et les travailleurs sociaux qui ont organisé une sortie à la cabane à sucre pour les familles de réfugiés syriens nouvellement arrivés à Saint-Hyacinthe. Les musulmans, ce qu’ils sont tous, ne mangent, bien sûr, pas de porc. « Mais dans la soupe aux pois, il n’y en a pas beaucoup », risque une serveuse vêtue d’une chemise à carreaux. Ce n’est pas la quantité, mais la présence qui compte, explique patiemment l’un des interprètes.

Des scènes comme celle-là, les Syriens et les Maskoutains en vivront certainement plusieurs au cours des prochains mois. Car Saint-Hyacinthe, une technopole agricole où 96 % de la population dit parler français à la maison, s’ouvre de plus en plus à l’immigration.

Au Québec, des 5500 réfugiés débarqués jusqu’ici, la grande majorité (4500) ont été parrainés au privé. La plupart de ces parrainages ont lieu à Montréal. L’intégration des Syriens est facilitée par leur prise en charge directe par de la parenté ou des groupes de citoyens particulièrement conscientisés. C’est aussi dans la métropole montréalaise que vit la plus grande communauté syrienne au Canada.

Ailleurs au Québec, c’est une autre histoire. Les réfugiés syriens qui se retrouvent en région dans l’une des treize villes choisies selon leur capacité à accueillir les nouveaux arrivants font surtout l’objet d’un parrainage par l’État (à peine 1000). Ils n’ont ni famille ni repères. Et la métropole montréalaise — surtout le fameux marché Adonis — leur semble bien loin.

Des familles démunies
Étudiante en technique de travail social, Paola est stagiaire à la Maison de la famille des Maskoutains, l’organisme qui s’occupe, entre autres, des réfugiés à Saint-Hyacinthe. Depuis quelques mois, elle confronte ses recherches à la réalité du terrain. « C’est une chose d’étudier une réalité sur papier. Mais c’est autre chose de la vivre », admet la jeune femme, qui a eu bien des surprises.

Elle constate que les Syriens parrainés par l’État proviennent de milieux beaucoup plus pauvres et démunis, où l’éducation manque parfois cruellement. « Certains sont complètement analphabètes. Les parents ont rarement un niveau de scolarité qui va au-delà de la 6e année du primaire. » Les sept familles que Saint-Hyacinthe accueille — elles étaient huit, mais l’une d’elles est partie dès le début en Ontario — ont été recrutées dans les camps en Jordanie et en Turquie. « Ils vivaient sous le seuil de la pauvreté. Ils ont dû traverser la Syrie à pied pour s’enfuir. »

« Les familles sont plus “traditionnelles” », remarque pour sa part Marthe Duhaime, travailleuse sociale et chargée du jumelage à la Maison de la famille des Maskoutains. « Leurs parcours sont très diversifiés, mais il n’y a personne du milieu “professionnel” proprement dit. L’un est fabricant de fromage, l’autre est musicien ou fabricant de fenêtres. » Et les familles — l’une d’elles a même des jumeaux lourdement handicapés — sont nombreuses. « Des équipes de soccer ! » lance Mme Duhaime.

Défis logistiques
Avec neuf enfants — âgés de 14 mois à 16 ans —, la famille d’Ibrahim Hussein pourrait effectivement s’inscrire dans une ligue. Après trois ans dans les camps de Jordanie, sa femme et lui ont eu l’occasion de venir ici pour tout recommencer à zéro. « Il se sent Canadien », traduit un interprète marocain, venu bénévolement offrir son aide pour l’activité cabane à sucre. « Vous savez, il n’y a pas de mot, ni en arabe ni dans aucune autre langue, pour désigner un enfant qui meurt. C’est quelque chose qui n’est pas normal, dans la vie. Ces gens-là sont heureux et reconnaissants, parce que, pour la première fois, ils vont vivre dans un pays en paix. »

Les sept familles syriennes — seize adultes et trente-sept enfants au total — sont arrivées en plein hiver, à quelques jours d’intervalle, entre décembre et février. L’équipe d’intervenants de la Maison de la famille n’a reçu les détails qu’à quelques jours d’avis. Il leur a fallu tout faire en même temps : les bilans de santé, les logements — plutôt rares pour d’aussi grosses familles — et l’inscription à l’école. Cela donne lieu à certains ratés, comme installer dans un logement au 2e étage une famille dont le papa est handicapé d’une jambe ou encore faire des visites à domicile sans qu’aucun interprète ne soit disponible.

Somme toute, la communauté demeure très ouverte, se surprend Marthe Duhaime. « Jusqu’à maintenant, à mon grand étonnement, la réceptivité des gens est très, très bonne. Les réfugiés viennent de camps où ils n’étaient pas les bienvenus, et ici, ils disent que c’est tout le contraire. Ça me réjouit d’entendre ça. »

Le b.a.-ba de l’installation
À travers ce marathon de l’installation, il faut leur donner un cours de vie au Québec 101, aussi élémentaire soit-il : le fonctionnement du micro-ondes et de la douche, les horaires des autobus, en passant par un petit cours sur comment s’habiller en hiver. « On est débordés et eux aussi », dit Paola, qui étudie au cégep du Vieux Montréal.

Faire l’épicerie, geste banal, devient une corvée. « On met des choses dans le panier et on regarde le chiffre sur la caisse », résume Ibrahim Hussein, qui ignore tout du français, en mangeant une bouchée de pain dans le sirop.

Les adultes viennent tout juste de recevoir leurs papiers pour commencer la francisation. Alors qu’ils ont fort à faire dès leur arrivée, la francisation n’est guère une priorité. « Mais ce qui est beau, c’est qu’il y a beaucoup d’entraide de la communauté arabe déjà établie », souligne l’étudiante. À la mosquée où ils se rencontrent, certains leur proposent même de les emmener à Montréal pour acheter de la viande halal. Sans sirop d’érable !

Paola reconnaît que le choix de les emmener à la cabane à sucre était discutable, mais le jeu en valait la chandelle, croit-elle. « Le but de l’activité était qu’ils passent du temps entre eux pour parler. Ils sont éparpillés dans la ville et ne se voient pas souvent », explique-t-elle, admettant avoir trouvé « touchy » tout ce porc dans les plats. « On s’est questionnés sur l’intégration dans l’équipe. On n’a pas tous la même vision. »

Contrairement à l’afflux massif des réfugiés, le débat sur les classiques du folklore québécois, lui, ne se tarit pas.

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