jeudi 12 décembre 2013

Charte de la laïcité - L’université: haut lieu du savoir, non du croire


Accepter dans son sein le port ostentatoire de signes religieux, qui procèdent du croire et non du savoir, paraît contraire au rationalisme qui fonde l’université moderne.

Contrairement à plusieurs universités qui se sont positionnées la semaine dernière, l’Université de Montréal s’est montrée peu bavarde dans le débat sur la laïcité et prépare un mémoire sur le sujet.


«La liberté universitaire concerne essentiellement les courants intellectuels, les théories, les connaissances, les thèses qui sont enseignés et discutés par les professeurs dans le cadre de leurs fonctions universitaires.» — Claude Simard, professeur retraité de l'Université Laval

Deux articles du Devoir du 3 et du 4 décembrenous annoncent que certaines universités francophones, après McGill et Concordia, rejetteraient le projet de charte de la laïcité pour des raisons qui relèveraient de la liberté universitaire et de la liberté d’opinion.

D’abord il convient de préciser que les propos rapportés ne se réfèrent nullement à l’ensemble de la communauté universitaire, mais émanent surtout d’administrateurs qui n’ont mené aucune consultation sérieuse pour parler au nom de tous ceux et de toutes celles qui constituent l’université. Ces propos ne sont sûrement pas partagés par un bon nombre de personnes oeuvrant à l’université.

Les arguments invoqués par les recteurs ou autres porte-parole qui ont été cités dans l’article s’avèrent trompeurs. Sous le couvert de liberté et d’ouverture, ils masquent les enjeux profonds de la neutralité et de la laïcité des organismes publics.

On prétend qu’interdire le port de signes religieux ostentatoires reviendrait à « porter atteinte à la mission de l’université ». La mission première de l’université n’est pas de soutenir de quelque façon que ce soit les croyances religieuses. La recherche et l’enseignement universitaires sont fondés sur la raison et non sur la foi. C’est l’édification rationnelle du savoir et sa transmission rigoureuse qui sont au coeur de la mission de l’université moderne.

Longtemps dans le passé, l’université a été sous le joug de la religion dont le dogmatisme a réussi à asservir plusieurs savants et à dénigrer leurs découvertes. Pensons par exemple à Galilée qui, en 1663, a été forcé par l’Inquisition d’abjurer la théorie de l’héliocentrisme. Heureusement, l’université s’est affranchie des croyances religieuses et elle a fait progresser le savoir en s’appuyant résolument sur la raison et la pensée critique. Même les questions religieuses n’y sont plus étudiées aujourd’hui sous l’angle étroit des doctrines théologiques, mais bien à l’aide des concepts des sciences humaines. Accepter dans son sein le port ostentatoire de signes religieux, qui procèdent du croire et non du savoir, paraît donc contraire au rationalisme qui fonde l’université moderne.

Ne pas confondre

Dans la même foulée, on avance que l’interdiction des signes religieux restreindrait le droit d’opinion. À ce propos, la rectrice de l’Université de Sherbrooke soutient qu’« il ne doit exister aucune restriction visant les opinions, politiques notamment, que peuvent exprimer les professeurs d’université ». Il convient tout de suite de nuancer ce propos : les opinions haineuses, racistes, sexistes, homophobes ne sont pas plus tolérées à l’université qu’ailleurs dans la société. Certes, la liberté universitaire est un principe indispensable à une saine circulation des idées. Mais ce principe n’est pas absolu. La liberté universitaire concerne essentiellement les courants intellectuels, les théories, les connaissances, les thèses qui sont enseignés et discutés par les professeurs dans le cadre de leurs fonctions universitaires. Leurs opinions politiques personnelles appartiennent à un autre registre et concernent d’autres tribunes publiques que les salles de cours universitaires.

La rectrice de l’Université de Sherbrooke confond également liberté de religion et liberté d’opinion, deux droits reconnus comme distincts par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les croyances religieuses ne sont pas véritablement des opinions, car elles ne sont pas sujettes à discussion : les juifs, les chrétiens et les musulmans croient inconditionnellement en l’existence de Dieu et ne peuvent remettre cette croyance en cause sous peine de voir leur foi s’effondrer. Le droit d’opinion ne concerne pas ce genre de dogme ; il touche avant tout les questions sociales et politiques qui sont débattues au sein de la cité. On ne peut donc pas dire que l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’université brime le droit d’opinion.

Le projet de charte de la laïcité limite le port de signes religieux ostentatoires dans les organismes de l’État en vertu de la neutralité dont ses employés doivent faire preuve. Mais il ne brime pas pour autant la liberté de religion puisque les croyants pourront continuer à professer leur foi partout ailleurs dans la société.

Enfin, parlons du voile islamique puisqu’il est en beaucoup question dans tout ce débat. Au cours de la longue histoire des universités, de grandes luttes ont été menées pour permettre à tout le monde de faire des études universitaires et d’accéder au savoir. Jusqu’au XXe siècle, des groupes entiers de la population étaient exclus de l’université, en particulier les femmes. Au prix d’efforts inouïs déployés pendant des décennies entières, les femmes ont réussi à se faire respecter et à acquérir une formation universitaire à laquelle elles ont droit tout autant que les hommes.

Alors que, dans plusieurs pays musulmans, des universitaires se lèvent pour combattre la ségrégation vestimentaire imposée de plus en plus aux étudiantes avec la montée de l’intégrisme islamique, voilà qu’au Québec on accepterait aveuglément que des femmes portent, dans ce haut lieu du savoir qu’est l’université, un voile qui n’est rien d’autre que le symbole d’une subordination à une religion machiste ? Pareille abdication constituerait une dangereuse régression historique.


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