source: nouvel observateur
Avec l'application Périscope, les militants de "Nuit debout" ont trouvé un formidable écho sur internet. (Bertrand Combaldieu/AP/SIPA)
Avec le mouvement "Nuit Debout", les Indignés sont-ils de retour en France ? Il est encore trop tôt pour l'affirmer, analyse le chercheur en sciences politiques Gaël Brustier. Interview.
Edouard LamortPublié le 04 avril 2016 à 18h28"Nuit Debout" aura-t-il la même portée que les Indignés espagnols de la Puerta Del Sol en 2011 ? Gaël Brustier est membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et chercheur en sciences politiques au Cevipol (Université libre de Bruxelles). Il était place de la République samedi et dimanche soir, et analyse pour "l'Obs" la naissance de ce mouvement de citoyens.
Le mouvement "Nuit Debout" constitue-t-il une nouvelle forme des Indignés "à la française" ?
- On peut le dire, oui. Cependant, il ne faut pas essayer de calquer à l’identique ces deux phénomènes. La France dispose de sa propre culture politique et a un fonctionnement qui lui est propre. Il faut garder à l'esprit que les situations de ces deux pays sont différentes. Et beaucoup de choses ont changé depuis 2011. De plus, la société française n’a pas subi ce que la société espagnole a enduré au cours de son histoire contemporaine : l'époque franquiste, la crise économique de 2008 qui a touché le pays de plein fouet et enfin la corruption du Parti populaire (PP).
Il faut rester prudent avec les comparaisons hâtives, mais il est vrai que le mouvement des Indignés ibériques reste présent dans beaucoup d'esprits place de la République.
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Pensez-vous que ce mouvement peut prendre de l'ampleur et durer dans le temps ?
- C'est une possibilité. Son originalité est réelle. Il correspond à une volonté constante de citoyens, souvent très jeunes, qui souhaitent s'investir dans le débat public d'une autre façon. Ceux qui manifestent place de la République sont extrêmement jeunes. La moyenne d'âge doit osciller autour des 25 ans. Pour durer, le mouvement va devoir passer à une phase plus globale. Pour cela, il doit universaliser son discours. Il faut trouver un point de convergence qui puisse permettre de dépasser la simple rhétorique sociologique militante.
Une des pistes à continuer d'exploiter est celle de la communication. Le suivi du mouvement par 80.000 personnes sur l'application Périscope a constitué une bonne vitrine pour leur démarche. Les membres de "Nuit Debout" ont misé sur leurs propres médias. Exactement comme les Indignés espagnols avant eux. Ces militants font preuve d'une utilisation des technologies 2.0 et des médias offlines très poussée. Le mouvement est de ce point de vue intelligemment mené.
Quels sont les fondements de cette protestation ?
- Le mouvement est né à la suite du succès des manifestations contre la loi Travail. Ces dernières ont traduit la colère de la jeunesse contre la précarité qui se développe et le déclassement social qui devient une réalité. On observe une explosion des inégalités dans différentes sociétés européennes. Ce n'est donc pas étonnant que de jeunes citoyens se mobilisent.
Le mouvement a ensuite mué en un discours de contestation plus général. Le retrait de la loi El Khomri n'est pas l'unique but des participants de "Nuit Debout". Il prend aujourd'hui une dimension plus vaste, plus générale, qui souhaite porter au plus haut une autre idée de la démocratie, même si pour l'instant cela ne dépasse pas le stade du discours.
Est-ce le début de l’émergence d’un mouvement participatif sur le modèle de Podemos en Espagne ?
Il est trop tôt pour l'affirmer. Il ne faut pas oublier que "Nuit Debout" n'existe que depuis une centaine d'heures. Personne ne sait si "Nuit Debout" va tenir. C’est possible mais on ne peut rien assurer. Toutefois, il existe certains signes positifs indéniables pour qu'un point de contestation durable puisse voir le jour. Parler d'envergure politique est également prématuré. Les membres du mouvement doivent d’abord fonctionner correctement entre eux. D’un point de vue technique, ils sont d'ailleurs bien organisés.
Ils ont également évité avec intelligence l’écueil de la médiatisation en ne nommant pas de porte-parole charismatique ni d'intermédiaire pour dialoguer avec les médias. Il n'y a pas de leader car ce n'est pas un mouvement politique. Il exprime une contestation sociale.
"Salaire à vie", "embauche de tous les chômeurs", "destruction globale du système capitaliste"... Les revendications du mouvement "Nuit Debout" ne sont-elles pas utopistes ?
- Elles le sont certainement mais depuis quand est-ce interdit ? L'utopie fait partie de la démocratie. Ce n’est pas illogique. Cette contestation essaie de dépasser sa sociologie initiale. On observe une capacité à se faire entendre par d’autres catégories sociales comme les employés précaires ou les ouvriers ruraux. Avec ses revendications, "Nuit Debout" reçoit de la sympathie. D'une certaine manière, le mouvement est déjà une réussite. Il a permis de casser certaines "évidences" en imposant certains sujets dans le débat public.
S'agit-il d'une initiative purement parisienne, déconnectée du reste du pays ?
- Non, une carte le montre d'ailleurs. Le mouvement a touché d'autres villes comme Strasbourg - où se tiendra demain une grande assemblée générale - ou encore Rennes. Il se développe dans les grandes villes françaises. La question demeure cependant entière pour les villes plus petites. Un mouvement avec qui ? Sous quelle forme ? La question est posée.
Il y a un frémissement mais il est encore très faible. Pour l’instant, "Nuit Debout" est en voie d’extension. De plus, il ne faut pas oublier la complexité d'une telle effervescence. C'est une activité extrêmement chronophage. Beaucoup de manifestants ont un travail. Il faut donc se relayer et cela demande une main-d'œuvre conséquente. La fin de cette semaine sera un bon test pour savoir si le mouvement a un avenir.
A un peu plus d’un an de l'élection présidentielle, "Nuit Debout" peut-il avoir de sérieuses conséquences politiques ?
- Oui, totalement. Le but d’un mouvement de ce type est d’imposer les évidences, les problèmes d’une génération qui ne sont pas dans le débat public. Il y a déjà des changements. Il suffit de voir comment on parlait de la jeunesse avant "Nuit Debout" et aujourd'hui. Il peut y avoir des évolutions.
Propos recueillis par Edouard Lamort, le 4 avril 2016
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