Les nouvelles guerres religieuses : les “arabes” entre Koreich et Internet
Les nouvelles guerres religieuses : les pieds ici, la tête au 8ème siècle Par Kamel Daoud
Mozabites contre Arabes. Sunnites contre chiites. Et ainsi de suite. Un demi siècle après les décolonisations, le monde dit «arabe» sombre dans la démangeaison. Au galop vers les siècles d’antan où l’on tuait selon le calife contre un autre calife. Pourquoi ces divergences qui remontent à plusieurs siècles remontent-elles aujourd’hui à la surface ? Parce qu’il n’y a pas plusieurs siècles entre un «arabe» du 7eme et un autre du 20ème siècle. Le temps n’est pas passé. N’a pas été résolu. Il est là avec le même peuple dans le gosier, entre Koreich et internet.
Et ensuite parce que les régimes ont échoué, les décolonisations aussi et les élites de gauches qui se sont enfermées dans le déni et la paranoïa du complot et de la cause palestinienne à ressasser comme un dogme. Du coup, ne sachant pas par où passer, le Temps célèbre et Sacré a reflué vers ses premiers oueds avec des millions affolés, sandales à la main, courant turbans déroulé vers les temps antiques. Là où on n’avait pas encore tranché entre Ali, Aïcha, Mou3awiya, Kharijites et tribus chiites et yéménites. Quand on enjambe mal un siècle, il vous marche dessus et revient vous piétiner.
Et encore ? A cause de ce que l’on voit, écoute, entend et ressasse : les chaînes saoudites wahhabites, les TV religieuses, la caste des imams hurleurs, les fatwas à la place des institutions, tout cela a fait basculer une jeunesse que l’on croyait libérée par la libération, vers le moyen-âge le plus misérable, les idées de morts qui tuent encore et les visions du monde des temps supposés anciens, purs, des salafs. Aujourd’hui, un jeune en Irak ou à Ghardaïa, est infecté par les mêmes visions mortes du monde d’il y a dix siècles.
Il a les pieds sur sa terre et la tête dans la tête des cimetières et des cadavres des califes.
Alors il prend la machette, le turban, le tapis, la pierre ronde et le sabre et s’en va tuer, prêcher et rééditer les guerres et les butins et les suprématies démodées.
Dieu est aujourd’hui un abattoir. Ou un mur de nos ridicules. La stèle de nos égorgements. En son nom les « Arabes » se tuent ou tuent partout, explosent, assassinent ou fuient, se sauvent et s’exilent pour sauver ce qui reste de leur humanité. Cela va des Boko Haram au flanc sud, aux tueurs de chrétiens au flanc oriental et jusqu’à ce fait divers de la guerre des sexes dans la mosquée de Paris où des violences à Ghardaïa. A Paris, les femmes ne voulant prier sous les pieds des hommes mais derrière, ont fini par être battues ou par battre ou par simuler. On ne sait plus. Dans les guerres au nom d’Allah, il n’y a plus une partie qui a raison et une autre qui a tort. Dans le monde de l’absurde, la raison est un ballon ou un lapin assis sur un mur. Ne cherchez plus, regardez, subissez ou révoltez-vous. Chiites, sunnites, mozabites, «arabites» ou Djihadistes, il s’agit d’une maladie et d’une rouille de l’époque. C’est un effondrement lorsqu’on relit sur le net et dans les cafés les convictions surréalistes et intolérantes et primaires des jeunes nés hier mais qui vivent dans une époque d’il y a douze siècles, l’épée entre les dents, sexistes, intolérants, laids et violents comme des tribus affamés par le désert. Il ne s’agit plus d’une polémique ou de débat sur l’Islam, Dieu ou la loi et le Livre, mais d’un naufrage que l’on doit regarder avec lucidité et analyser avec honnêteté. Sans cela, on y participe malgré soi : par la bouche, l’idée ou la main. Selon sa mauvaise foi.
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