A un kilomètre de la basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), au croisement de l’autoroute A1 et de la nationale 183, l’architecture moderne de la maternité de l’hôpital Delafontaine, inaugurée en 2011, contraste avec la vétusté des HLM qui l’entourent. Il y a un an, cette maternité dernier cri où naissent 4 000 bébés par an, a ouvert un service dédié à la réparation chirurgicale des mutilations sexuelles féminines.
« Ici, un tiers des patientes qui accouchent ont subi des mutilations génitales », explique le docteur Ghada Hatem, responsable du service de gynécologie-obstétrique et instigatrice du projet. « Lorsque nous nous sommes rendu compte de l'ampleur de la pratique et de l'absence de centre de prise en charge dans le département, nous avons eu le sentiment qu'il était de notre devoir d'ouvrir une structure à Saint-Denis », poursuit-elle. Delafontaine est aujourd'hui le seul établissement de Seine-Saint-Denis, à proposer un chemin clinique adéquat.
Trois chirurgiens, deux sages-femmes, une infirmière, un psychologue et un sexologue - tous formés chez le docteur Pierre Foldes, spécialiste de la réparation vulvaire - composent l'équipe qui encadre les excisées. Ici, la prise en charge ne se résume pas à une simple intervention chirurgicale. « On a voulu mettre en place une structure où l'on puisse accueillir les femmes dans de bonnes conditions pour leur proposer une écoute adaptée », résume Ghada Hatem.
« Ces femmes ne connaissent pas le plaisir »
Tous les premiers mardis du mois, un groupe de parole a été créé pour permettre aux femmes de partager leur expérience. Car chaque histoire est singulière et les demandes varient selon les patientes. Certaines découvrent sur le tard avoir été excisées, d'autres vivent avec le souvenir douloureux de leur opération traumatique. Le suivi psychologique est souvent indispensable. La réparation, elle, n'est pas systématique.
La maternité propose également des consultations sexologiques pour celles qui ont subi une réparation vulvaire. Car l'excision touche à un domaine très personnel : « Ces femmes ne connaissent pas le plaisir, elles ont des douleurs lors des rapports sexuels, ajoute Sarah Abramowicz, assistante chirurgienne.
Chaque semaine, la jeune spécialiste, auteure d'une thèse sur les mutilations génitales féminines, reçoit quatre à cinq mutilées lors de ses consultations. Son collègue, Stéphane Bounan, consacre, lui, un tiers de ses rendez-vous gynécologiques à l’excision. Des créneaux horaires leur sont spécialement réservés. « Le but est que ces femmes n'attendent pas pendant des mois avant de pouvoir voir un médecin », explique-t-il.
« Lever les tabous »
Attentifs, sages-femmes et médecins sont également formés pour dépister les cas de mutilation. Le matin, lorsqu'ils effectuent la revue des accouchements et qu'une femme excisée a été signalée, l'équipe se réunit. Quelles lésions a-t-elle subi ? Est-elle au courant ? Les médecins partent ensuite à la rencontre de la jeune maman. Certaines refusent d'aller plus loin, d'autres entament un long processus de reconstruction.
« L’erreur à ne pas commettre, c'est de constater un problème et de ne pas en parler. La meilleure façon de lutter contre la violence est de lever les tabous », explique Stéphane Bounan, un des chirurgiens du service. Le docteur Abramowicz ajoute qu’« en venant ici, beaucoup tirent un trait sur leur famille. En s'opposant à la tradition, ces femmes sont dans une démarche militante », insiste-t-elle.
Fondée sur des mythes ancestraux, l’excision n’a pas de religion. Chrétiens et musulmans l'ont pratiqué. Nefertiti, l’épouse royale du pharaon Akhenaton, qui a vécu vers 1370 avant J.-C., était elle-même mutilée. Aujourd'hui, l'Unicef estime que 97 % des femmes égyptiennes, 80 % des Ethiopiennes et 90% des Maliennes seraient excisées.
Un service qui souhaite former les professionnels de santé
Malgré les mesures prises sur le plan légal dans les années 1980 et les premiers procès intentés contre des parents et des personnes ayant pratiqué une mutilation génitale, le droit français ne dispose pas de qualification juridique pour les faits d'excision. Parallèlement, le nombre d'excisées reste encore mal connu des services publics. En France, selon les dernières études datant des années 1990, elles seraient entre 30 000 et 60 000 à être excisées.
A 15 kilomètres de Saint-Denis, Emilie Bourges, une jeune généraliste de 30 ans, exerce depuis trois ans dans la commune de Sevran (Seine-Saint-Denis). Après un parcours de médecine générale et un diplôme universitaire en gynécologie, la jeune femme manifeste son malaise : « Je n'avais jamais vraiment entendu parler de l'excision avant qu'une de mes patientes ne me confie avoir subi une mutilation. Je n’ai alors pas su comment réagir. Pourtant, j'ai fait des stages de gynéco dans le département, mais je n'avais jamais traité le problème », indique-t-elle.
Outre la diffusion du savoir et la formation des spécialistes et des généralistes afin qu'ils soient capables de dépister les cas d'excision, la maternité de l’hôpital Delafontaine mise sur la sensibilisation du personnel de santé. Bien que l’excision touche des milliers de femmes, le sujet n'est jamais abordé au cours des huit années d'études de médecine générale. « Il y a une base à connaître, un minimum devrait normalement être enseigné à la faculté, or ,ce n’est pas le cas », explique Stéphane Bounan.
Combler des lacunes
Le sujet est d'autant plus déroutant pour les médecins qu'il est parfois difficile de savoir si une patiente a été excisée. Le geste, effectué avec une lame et sans anesthésie, n'a rien de chirurgical. Les séquelles sur le sexe de la femme varient d'une patiente à l'autre. Des gynécologues peuvent examiner une excisée pendant des années sans s'en apercevoir.
De l'ablation du clitoris à l'infibulation (suture des grandes ou petites lèvres de la vulve), la pratique de l'excision diffère selon les traditions. « Dans mon ancienne maternité, une sage-femme a recousu une femme infibulée qui venait d'accoucher. Elle pensait bien faire mais en réalité elle venait de la réinfibuler », explique Sarah Abramowicz.
Pour tenter de combler les lacunes, le service de réparation vulvaire de l’hôpital de Saint-Denis dispense deux types de formations. En interne, les sages-femmes sont régulièrement réunies en petits groupes pour assister à des stages, au cours desquels les médecins explicitent les méthodes de dépistage, photos à l’appui. Pour faire circuler les connaissances, le service participe également à des congrès et propose des heures de formation pour les généralistes. « Le gros problème, c'est que les médecins sont débordés. Ils manquent de temps, nous avons encore peu de demandes », tempère Stéphane Bounan.
L'équipe compte aussi sur son réseau d'internes pour propager le savoir. Dix étudiants intègrent leurs rangs tous les six mois. Autant de futurs médecins qui sauront alors rediriger leurs patientes, « car il est essentiel que nos confrères sachent de quoi il s'agit pour qu'ils puissent nous envoyer des femmes qui souhaiteraient en parler », conclut Sarah Abramowicz, avant d’enfiler sa blouse et de décrocher son téléphone. Une femme est en train d’accoucher. C’est elle qui est appelée pour effectuer la césarienne.
Emile Costard (Monde Académie)
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