Dounia Bouzar, 50 ans, est anthropologue du fait religieux, nommée à l'Observatoire de la Laïcité. Auteur de "la République ou la burqa" (Albin Michel, 2009) et de "Laïcité, mode d'emploi" (Eyrolles, 2010), elle publie aujourd'hui "Désamorcer l'islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l'islam", aux Editions de l'Atelier. Interview.
Le témoignage de Dominique Bons, la mère du djihadiste français tué dans une opération kamikaze en Syrie, a frappé l'opinion. Quelle leçon faut-il en tirer ?
- Il montre qu'il y a urgence à comprendre les mécanismes qui amènent un jeune à basculer dans le radicalisme, qu'il soit de famille musulmane ou non, puisque beaucoup n'ont aucun lien avec l'islam. Des gens du 16e arrondissement m'ont déjà appelée à l'aide. Les parents qui ne connaissent pas l'islam sont d'ailleurs ceux qui réagissent le plus tard, pris dans la confusion ambiante sur ce qu'est cette religion.
Comment avez-vous recueilli les exemples d'endoctrinement que vous analysez ?
- J'ai passé six mois sur les sites radicaux en me mettant dans la peau de quatre personnages virtuels, deux hommes et deux femmes. J'en suis ressortie abattue.
Peu de musulmans osent aborder ces questions de front. Pourquoi ?
- Il y a une omerta. Et je sais bien qu'en la brisant, je vais me mettre à dos à la fois les islamophiles, qui considèrent que, par essence, les musulmans sont des personnes dominées qu'il faut traiter comme une "espèce à protéger" et les musulmanophobes (je préfère ce terme à celui d'islamophobes), qui pensent que l'islam est par essence archaïque et qu'il faut par conséquent l'éradiquer. Au final, ces positions reposent sur le même postulat. D'autres encore sont tétanisés par la peur d'alimenter le Front national en nommant les choses. Quant aux musulmans, ils sont pris au piège du fait qu'à chaque fois que se pose un problème, au lieu de combattre l'islam radical, on fait le procès de l'islam. Certains en perdent leur Coran ! En tant qu'ancienne éducatrice, je considère plutôt que les secrets de famille - famille française, j'entends - ce n'est jamais bon.
Ne craignez-vous pas d'être accusée de faire monter le sentiment anti-musulman ?
- C'est justement la montée en miroir du sentiment de persécution qui m'a décidée à écrire ce livre. Il est temps de définir le curseur entre l'islam et le radicalisme. Non, ce n'est pas normal de voir une femme se couvrir d'un drap noir. Non, ce n'est pas normal qu'un homme refuse de serrer la main d'une femme ou marche en crabe à sa vue. Non, l'islam ne demande pas d'exprimer sa foi en exhibant une barbe à la Ben Laden. Il faut garder un peu de bon sens. C'est faire injure à l'islam que de croire que ces comportements seraient religieux ou indiqueraient un quelconque retour à la tradition musulmane. Quand va-t-on admettre qu'il ne s'agit pas de conversion religieuse mais de basculement dans un groupe sectaire totalitaire qui mène ses adeptes à la rupture sociale et familiale ? Tous les ingrédients du registre sectaire sont là : le refuge dans un groupe purifié, détenteur de la Vérité, le mimétisme, la perte de raison, l'état d'hypnose (on le voit bien dans la vidéo de Nicolas Bons appelant au djihad), l'application des versets comme des recettes de cuisine, la rupture sociale, familiale... Le programme des radicaux, c'est la purification du monde ; en cela ils sont totalitaires.
La "purification du monde", cela rappelle de très mauvais souvenirs...
- Mais bien sûr. En même temps, Hannah Arendt montre bien que les gens qui sont attirés par le totalitarisme sont des gens qui ont le sentiment que leur place n'est pas garantie par les autres dans la cité. C'est pourquoi je ne trouve pas pertinent d'exclure les mamans voilées des sorties scolaires. Que peuvent ressentir ces petits gamins à qui, du jour au lendemain, on dit "ta maman est superflue, elle est même interdite" ? Ca m'inquiète profondément.
Les jeunes radicalisés sont-ils "récupérables" ?
- Nous manquons de recul, mais pour le moment je suis sceptique. Il faut donc privilégier la prévention en distinguant clairement les radicaux des musulmans. Personne n'en a encore conscience, mais la première génération d'enfants de "purificateurs" est en train d'arriver en France. Que va-t-on faire pour eux ?
Propos recueillis par Marie Lemonnier - Le Nouvel Observateur
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