Mathieu Bock-Côté - 10 décembre 2013
C’est
le nouveau «spin» des adversaires de la Charte des valeurs : elle
handicaperait le PQ. La «stratégie identitaire» le conduirait dans un
cul-de-sac. Elle nuirait électoralement à un parti qui aurait tout misé
sur elle pour obtenir une majorité. Le PQ devrait y renoncer et en
revenir à la posture habituelle du bon gouvernement en renonçant à
politiser la critique du multiculturalisme. En gros, la «stratégie
identitaire» serait non seulement odieuse (xénophobe, islamophobe et
tout le tralala des insultes habituelles): elle serait inefficace. Deux
raisons de la congédier, autrement dit. Je note que plusieurs
fédéralistes sont d’ailleurs pressés de donner de généreux conseils
stratégiques aux souverainistes, comme s’ils voulaient sauver l’option
de sa déliquescence morale. C’est très aimable.
Mais
leur analyse n’est tout simplement pas fondée, d’autant qu’elle n’est
pas exempte de mauvaise foi. Il est vrai que les appuis à la Charte ne
se convertissent pas immédiatement en appuis au PQ. Mais il faut éviter
les explications trop simplistes. Il faut chercher, comme je le suggère en chronique
aujourd’hui, des causes plus lourdes : dislocation de la question
nationale dans sa forme traditionnelle, émergence d’enjeux libérant un
espace politique pour une gauche et une droite décentrées de la question
nationale, affadissement de la conscience nationale, baisse du poids
relatif des Québécois francophones dans l’électorat. Inversement, la
Charte révèle un bassin de croissance électorale potentiel pour le PQ :
c’est un enjeu qui touche existentiellement l’électorat et qui peut
potentiellement déplacer certaines lignes de clivage.
On
se demande si la Charte servira de levier électoral? Il faut savoir ce
dont nous parlons ici. Personne ne lui a jamais demandé de propulser
l’option souverainiste au sommet en quelques semaines. Les partisans de
la «stratégie identitaire», dont la Charte est un morceau important, n’y
voient pas une solution magique pour faire remonter le PQ à 45% dans
les sondages. Même ses défenseurs les plus convaincus n’ont jamais cru
un seul instant qu’elle renverserait en quelques semaines une dynamique
défavorable à la souveraineté se déployant depuis près de quinze ans.
Cela ne veut pas dire qu’elle ne donnera pas d’effets électoraux à moyen
terme : cela veut dire qu’il faut éviter de lui reprocher de ne pas
tenir des promesses qu’elle n’a jamais faite.
La
«stratégie identitaire» vise en fait à réconcilier le souverainisme
avec les tendances lourdes du nationalisme québécois, qui sont
inévitablement liées à la quête identitaire des Québécois francophones.
Elle renoue avec le nationalisme historique de ces derniers. Elle vient
briser le nouveau consensus médiatique autour de l’idéologie canadienne
de 1982 dans la politique québécoise et redonner un contenu existentiel à
la question nationale, qui s’était laissée réduire depuis trop
longtemps à de pures considérations sociales (la souveraineté pour la
social-démocratie) ou technocratiques (la souveraineté pour obtenir un
Québec plus efficace). Elle réinvestit au cœur du débat politique la
question de l’identité québécoise et de l’existence même du peuple
québécois. C’est ce que plusieurs de ses adversaires ne lui pardonnent
pas.
J’ajouterais
que la Charte des valeurs n’en est qu’un élément parmi d’autres. La
laïcité n’épuise pas la politique de l’identité québécoise. Elle est
appelée à se conjuguer avec d’autres propositions : refondation des lois
linguistiques, renforcement de l’enseignement de l’histoire,
développement d’une politique de commémoration, création d’une
citoyenneté québécoise, ajustement des seuils d’immigration,
réaffirmation du pouvoir des élus et remise en question du gouvernement
des juges. On pourrait dire qu’il s’agit de rebâtir «l’État-nation»
québécois, aussi incomplet soit-il sans l’indépendance. Il s’agit, si on
préfère, de solidifier les assises politiques et culturelles du Québec.
J’ajouterais
que la Charte s’inscrit dans la nouvelle dynamique de la question
nationale, qui ne reconduit pas seulement la classique tension entre le
Canada anglais et le Québec français. La question nationale met
désormais en scène, à bien des égards, le Canada multiculturaliste de
1982 et le Québec qui persiste à se définir comme une nation, comme une
communauté politique conjuguant la citoyenneté démocratique avec
l’identité nationale. De ce point de vue, elle participe à une
reconfiguration de l’espace politique qui se déroule en temps réel et
qui n’est pas terminée. Elle révèle sous un nouveau jour la
subordination politique du Québec dans la fédération, surtout à un
moment où le régime de 1982 multiplie les effets politiques et contribue
à disqualifier les fondements mêmes de la nation québécoise.
Mais
j’y reviens, la «stratégie identitaire» contribue à la reconstruction
des bases de l’option souverainiste. Elle redonne un tonus au
nationalisme québécois qui s’était laissé domestiquer par l’ordre de
1982. Elle rappelle que notre société n’est pas une page blanche appelée
à se dissoudre dans la seule logique des «droits» qui trop souvent,
pousse à la judiciarisation du politique (et la judiciarisation du
politique n’est certainement pas la meilleure manière de conserver
véritablement les droits et libertés). Évidemment, certains
souverainistes, égarés pour la plupart dans la mouvance assez radicale
du «Québec inclusif» (je ne parle évidemment pas ici de Jacques Parizeau
et Lucien Bouchard, dont la critique de la Charte se fonde sur d’autres
considérations), n’en finissent plus d’étaler publiquement leur
indignation. Mais il s’agit d’une perte politique mineure. D’autant
qu’ils se sont mis sous la tutelle idéologique des adversaires les plus
résolus de l’indépendance, dont ils quêtent l’approbation et voudraient
obtenir un certificat de respectabilité idéologique. S’ils sont
médiatiquement très audibles, il ne faudrait pas exagérer leur portée
électorale.
Tout
en politique n’a pas à se dissoudre dans le court terme. Et tout n’est
pas petit calcul minable. Il faut donc rappeler au bon sens ceux qui,
après avoir combattu une Charte qu’ils disaient «flatter les pulsions
xénophobes» des Québécois, nous invitent à la congédier parce que ces
«pulsions» ne se seraient pas manifestées. Il faut leur rappeler qu’une
politique de l’identité québécoise n’a rien, mais absolument rien, d’une
excitation cynique ou inconsciente de la xénophobie et que cette
politique n’avait rien d’une simple «stratégie» pour obtenir une
majorité fragile et circonstancielle. Elle s’inscrit dans une
philosophie bien articulée de la question nationale qui n’est pas
appelée à produire une majorité instantanée mais qui ouvre un nouvel
avenir au projet souverainiste, qui lui donne un nouveau socle, mieux
ancré dans son histoire.
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