Transcription du débat organisé par la Coalition laïcité Québec, Quel modèle de laïcité pour le Québec ? Henri Pena-Ruiz, Caroline Beauchamp et Daniel Weinstock
Jeudi 26 avril 2012
Modératrice Rachida Azdouz
Salle Marcel-Pépin du Centre St-Pierre, 1212, rue Panet, Montréal
Caroline Beauchamp est juriste, spécialisée en droit constitutionnel. Après avoir travaillé comme avocate au ministère de la Justice du Québec, elle est aujourd’hui consultante en droit et rédactrice. Elle est la principale rédactrice de l’avis du Conseil du statut de la femme « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » Caroline a publié en 2011 un essai, Pour un Québec laïque, aux Presses de l’université Laval Son allocution en livre un extrait.
Étant juriste de formation, je vais aborder la question de la laïcité sous un angle juridique. Il me paraît essentiel, de fait incontournable, dans le débat sur la laïcité qui a cours actuellement au Québec.
C’est en prenant connaissance du droit que j’en suis venue à porter un intérêt à la laïcité. Quand j’étais à l’université, on ne parlait pas de laïcité. On parlait de neutralité de l’État. En droit, au Québec, la laïcité est un concept relativement nouveau. En travaillant au Conseil du statut de la femme, j’ai été amenée à me pencher sur la relation entre la liberté de religion, le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes. Et c’est là que j’ai été amenée à prendre conscience de toute la pertinence de nommer et de définir la laïcité. Je soulignerai l’influence de Christiane Pelchat alors Présidente du Conseil du statut de la femme, sur ma réflexion.
J’ai donc constaté l’impuissance du droit actuel à contrer les mouvements politiques qui utilisent la liberté de religion pour revendiquer une visibilité, un pouvoir. Sous le couvert des chartes, des accommodements individuels peuvent présentement êtres accordés au nom de la religion, des accommodements qui sont susceptibles de paver la voie à des revendications de nature politique. Or, le droit de croire et d’agir sur la foi de ses croyances n’est pas un droit collectif, mais actuellement, les tribunaux n’établissement pas cette distinction, jugeant les demandes au cas par cas.
La laïcité ne se déploie jamais dans un vide culturel. Ses principes fondamentaux s’articulent à des valeurs démocratiques, hiérarchisées différemment d’une version à une autre, mais aussi à un certain idéal de citoyenneté valorisé dans tel ou tel système politique. Il n’existe pas de modèle parfait de laïcité.
En 2005, plus de 120 universitaires de divers pays ont rédigé une déclaration universelle sur la laïcité.
Cette déclaration définit la laïcité comme étant l’harmonisation entre trois principes :
- la liberté de conscience et sa pratique individuelle et collective,
- l’autonomie du politique et de la société civile vis à vis des normes religieuses et philosophiques et
- l’égalité entre chacune et chacun.
La laïcité est donc un mode d’organisation entre ces principes. Elle transcende les différences culturelles, religieuses et ethniques en considérant la personne en tant qu’être humain, en tant que citoyenne et que citoyen. Sous cet aspect, elle garantit donc l’égalité de toutes et de tous devant la loi.
La laïcité est inclusive. Elle permet le respect des croyances et des non croyances de chacune et de chacun au sein de l’État.
C’est parce que l’État tire sa source du peuple, et non d’une quelconque puissance religieuse, qu’il est démocratique. Les élus ne sont pas désignés par une puissance suprême, mais bien par les citoyennes et les citoyens.
La laïcité est inclusive. Elle permet le respect des croyances et des non croyances de chacune et de chacun au sein de l’État. Elle interdit l’intégrisme religieux selon lequel les normes d’une religion seraient ou apparaîtraient étatiques, faisant en sorte que l’action de l’État puisse sembler dicté par une religion. En ce sens, la laïcité rend donc possible la liberté de religion et la liberté de conscience au sein de l’État en permettant de préserver toutes les croyances et toutes les convictions. La laïcité permet de préserver une spiritualité libre et un État indépendant des diktats religieux.
Qu’en est-il de la laïcité au Québec ? Le Québec, on le sait, n’a jamais été une théocratie. Il n’y a jamais eu officiellement au Québec de religion d’État. Cependant, nous savons tous que l’Église catholique a concrètement contrôlé des pans entiers des institutions civiles jusque dans les années 60 où la sécularisation a entraîné une séparation des pouvoirs religieux et politiques de plus en plus affirmée et concrète.
Cependant, si le Québec d’aujourd’hui est une société où le religieux n’exerce plus de contrôle sur l’État, cette laïcité n’est affirmée nulle part. C’est une laïcité de fait. Aucune loi n’en fait mention.
Cette réalité entraîne deux conséquences majeures. D’abord, au plan politique, il n’y a pas d’adhésion citoyenne à une nation laïque. Collectivement, l’attachement à la laïcité n’a jamais été déclaré. Le pacte citoyen est donc sous entendu, présupposé. Ensuite, au plan juridique, la laïcité ne constitue pas un principe autonome, ni une notion qui pourrait déterminer ou conditionner l’interprétation des libertés et des droits individuels. Aucun acte ou mesure n’est donc adopté afin de la mettre en œuvre et de rendre le principe de laïcité effectif.
Quel est l’impact de cette réalité juridique ? Il est à la fois subtil et tangible. En effet, le principe de laïcité découle de l’interprétation que les tribunaux ont fait du droit individuel à la liberté de conscience et de religion. Les juges ont établi que cette liberté autorise une personne à croire et à manifester sa croyance, et qu’elle lui permet aussi de ne pas croire et de ne pas être contrainte d’adhérer à une croyance.
En conséquence, pour respecter cette liberté, il est imposé à l’État l’obligation de ne pas paraître associé à une religion. S’il le fait, il crée une pression en faveur d’une religion et les personnes qui n’y adhèrent pas se trouvent ou pensent se trouver en quelque sorte contraintes de souscrire à une croyance qu’elles ne partagent pas. En droit québécois et canadien, la laïcité s’entend généralement encore comme un synonyme de neutralité religieuse. Et c’est ce principe de neutralité religieuse qui constitue présentement le guide à respecter pour l’État, un guide forgé de toutes pièces par les tribunaux, Or, ce guide qui interdit de favoriser une religion n’interdit pas la manifestation des croyances de la part des employés de l’État. En cela, notre droit se rapproche du droit, américain, anglais ou danois, où la liberté de religion est utilisée pour soutenir la présence de signes religieux dans l’espace étatique. En outre il faut ajouter que les tribunaux demeurent tenus d’interpréter les droits et libertés garantis par la charte canadienne de façon à promouvoir le multiculturalisme, une doctrine qui n’a jamais été endossée par le Québec, on le sait. Par ailleurs, le multiculturalisme est une notion aujourd’hui fortement remise en question par tous les pays qui l’ont adoptée.
Le Québec se distingue sur le continent par sa langue et sa culture, et son besoin de cohésion est vital. Cela n’a rien à voir avec le repli sur soi, mais tout à voir avec le respect de soi. L’état actuel du droit fait en sorte que le Québec s’efface devant l’autre soi-disant pour l’accueillir. C’est oublier que le Québec n’est pas une auberge espagnole. L’identité québécoise est unique. Vivre au Québec, ce n’est pas vivre en Alberta, en Ohio. Être citoyenne, citoyen du Québec, c’est connaître et partager des valeurs communes. S’il est donc vrai que la laïcité inclut la neutralité religieuse, il est faux de dire qu’elle se réduit à ce seul volet. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’affirmer nommément la laïcité du Québec, si tel est le désir collectif.
Actuellement nos lois sont très loin de prévoir l’adoption de mesures mettant en place des balises qui permettraient de dire ici on fait telle chose, ici, on fait telle autre chose. Pire encore, le préambule de la charte canadienne semble aller à contresens de la laïcité en soutenant que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. Pour ces raisons, je crois qu’il est nécessaire de modifier nos lois, afin de permettre l’affirmation de la laïcité en tant que principe fondateur de l’État. À mes yeux, la laïcité doit constituer le pivot autour duquel gravitent les droits et libertés individuelles, et non l’inverse, comme c’est présentement le cas.
Tous ces aspects rejoignent la laïcité française, énoncée comme une valeur fondatrice. Il ne s’agit pas, bien sûr, de transposer le modèle français, mais de s’en inspirer afin de fonder une laïcité propre au Québec.
À mon avis, la laïcité énoncée en tant que principe structurel devrait être enchâssée dans la charte québécoise. Ainsi, elle servirait à interpréter les droits et libertés et permettrait de les moduler au besoin
Présentement, la neutralité de l’État québécois découle de la liberté de conscience et de religion et c’est cette neutralité que l’on qualifie de laïcité « ouverte ». Or, ce choix de la laïcité « ouverte » n’a jamais été débattu, ni décidé collectivement. C’est une laïcité par défaut. Pire encore, il n’y a pas de consensus à cet égard, comme l’a noté justement le rapport Bouchard-Taylor. Ce débat doit donc avoir lieu.
À mon point de vue, la laïcité énoncée en tant que principe structurel devrait être énoncée dans la charte québécoise. Ainsi, elle servirait à interpréter les droits et libertés et permettrait de les moduler au besoin. Concrètement, cela permettrait d’adopter une loi qui mettrait en œuvre la laïcité. Cetteloi s’appliquerait aux institutions publiques et énoncerait la règle selon laquelle l’État est laïque et ne doit pas être associé ou paraître associé au religieux. Le personnel de l’État devrait refléter cette neutralité, tout comme les lieux physiques.
À mon avis, tout le personnel de l’État devrait s’abstenir d’afficher ses croyances de manière ostentatoire. Nous pourrons revenir sur la manière dont je conçois cette obligation que l’on pourrait édicter dans une loi. Contrairement à ce que Bouchard-Taylor prévoyait, j’estime que ce devoir de réserve et de neutralité ne s’applique pas uniquement aux employés qui sont en contact avec le public. Il s’applique à tous les fonctionnaires de l’État.
Je conclurai en disant que le Québec est sans aucun doute à l’heure des choix. La laïcité n’est pas quelque chose qui jaillit naturellement. Elle se bâtit. Et le moment est venu de la bâtir. L’affirmation que l’État est areligieux est un exercice de plus en plus urgent. Les religions ont toujours fait preuve d’un ardent prosélytisme. Elles favorisent le port de signes affichant l’appartenance religieuse qui en sont les manifestations tangibles. Je terminerai en citant le journaliste Christian Rioux qui a dit : « Le refus de la laïcité au profit d’accommodements généralisés n’annonce pas la paix, mais une version moderne des guerres de religion. » La guerre des signes est commencée et elle se déroule sur le terrain de l’État et sous son œil paternaliste.
Daniel Weinstock est professeur titulaire au département de philosophie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique et philosophie politique. Il a publié de nombreux ouvrages portant sur l’identité, le nationalisme et le pluralisme. Il est l’un des principaux auteurs du Manifeste pour un Québec pluraliste qui voulait rassembler les forces en faveur d’un modèle de laïcité ouverte.
Vous avez peut-être lu leManifeste pour un Québec pluraliste. Je persiste et signe quant à ce manifeste. Je commencerai en rappelant ce qui me semble être le coeur philosophique de la position que je défends. Pour moi, la laïcité ouverte est un sorte de compromis entre deux choses : d’abord, la responsabilité que nous avons de garantir autant que possible la liberté individuelle, la liberté religieuse, mais également la liberté individuelle tout court, la liberté vestimentaire, la liberté d’expression. On a tort, je crois, parfois, de tout ramener sous le chapeau de la liberté religieuse. S’habiller comme on le veut, c’est une liberté individuelle qui, je crois, devrait être valorisée comme telle. Les libertés individuelles ont des limites et il faut donc faire un compromis entre celles-ci et une responsabilité très importante de l’État qui est de s’assurer que dans ses décisions, il agisse dans l’intérêt du plus grand nombre, de manière neutre, sans privilégier une conception de la vie bonne plutôt qu’une autre, sans privilégier une religion plutôt qu’une autre, sans privilégier l’irréligion plutôt que la religion, le tout en tentant d’éviter le perfectionnisme.
Pour moi, la laïcité ouverte est un sorte de compromis entre deux choses : d’abord, la responsabilité que nous avons de garantir autant que possible la liberté individuelle, la liberté religieuse, mais également la liberté individuelle tout court, la liberté vestimentaire, la liberté d’expression.
Qu’est-ce que le perfectionnisme ? C’est la position de l’État qui dit : « Je sais mieux que les citoyens quelle est la vie bonne et donc, je vais utiliser le monopole de la force dont je dispose pour tenter d’imposer cette conception de la vie bonne. Donc, il y a d’un côté le respect des libertés individuelles qui me semble absolument fondamental, il s’agit pour moi d’un axiome philosophique et moral que je ne saurais justifier, une conviction fondamentale… et de l’autre côté la responsabilité de l’État, de veiller à éviter que ses institutions soient instrumentalisées soit par des cultes, soit par des visées perfectionnistes, telles que je viens de les définir, que l’État pourrait lui-même avoir par rapport à ses propres citoyens. Donc, il faut faire la part des choses et se poser à tout moment la question : « Jusqu’où peut-on permettre la liberté religieuse sans que l’on remette en cause cette deuxième fonction très importante, la sauvegarde de l’intérêt général.
À cette fin, il faut donc en arriver à divers aménagements institutionnels qui peuvent être différents, de contexte en contexte, puisque cet équilibre sera différent de société en société, selon les contextes variés où il s’inscrit. Il y a trois semaines, nous avons organisé un colloque en l’honneur d’un de nos grands penseurs, Charles Taylor qui célébrait son 80e anniversaire. Nous avons invité un spécialiste de l’Inde qui nous a expliqué que dans un contexte comme l’Inde où il y a un nombre incalculable de religions et de cultes, la laïcité ressemblera à quelque chose de très différent… en comparaison d’une société dont la multiconfessionalité est beaucoup plus modeste, comme celle du Québec, par exemple. Voilà donc le noyau normatif de la position sur laquelle ne me suis prononcé dans le passé. Et je suis toujours, grosso modo, d’accord avec moi-même.
Parlons un peu d’un certain nombre de critiques dont cette position a fait l’objet. Vous comprendrez que, derrière la position que je défends, il y a le libéralisme. Je sais qu’en France on ne peut pas prononcer ce mot sans qu’il y ait une certaine incompréhension. Pas le libéralisme dans le sens économique, libéral au sens d’Emmanuel Kant, libéral au sens de John Stuart Mill. Libéral dans le sens où elle accorde un primat aux libertés individuelles et à la responsabilité de l’État de voir à ce que les individus jouissent, à l’intérieur de l’État, des conditions dont ils ont besoin pour s’épanouir selon leur propre conception de la vie bonne. Il y a donc une certaine appréhension de l’État qui dispose du monopole de la coercition et de la violence légitime. Nous le voyons ces temps-ci, tous les jours, dans les rues de Montréal. Ce qui confirme que nous avons raison de craindre parfois l’utilisation abusive de ce pouvoir.
Une critique qui m’est souvent adressée : mais le pouvoir des communautés religieuses, qu’est-ce que vous en faites ? Est-ce que vous n’êtes pas, en quelque sorte, en train de sauter de la marmite… dans le chaudron…
Ce dont je doute, c’est de la capacité de l’État d’interdire de tels abus de pouvoir par les moyens coercitifs dont il dispose. Il n’y a rien de plus facile pour les communautés religieuses qui veulent utiliser leur pouvoir… que de le faire sous le radar.
en focalisant sur la limitation du pouvoir de l’État et en accordant, de ce fait, toute sorte de pouvoirs à des groupes qui, sous le radar, veulent user d’un pouvoir absolument terrible à l’endroit de leurs enfants, de leurs femmes, etc. Et à cette accusation, je réponds : je ne néglige pas le pouvoir qui s’exerce de manière abusive dans ces communautés. Ce dont je doute, c’est de la capacité de l’État d’interdire de tels abus de pouvoir par les moyens coercitifs dont il dispose. Il n’y a rien de plus facile pour les communautés religieuses qui veulent utiliser leur pouvoir… que de le faire sous le radar. On condamne les pratiques comme le port de certains symboles religieux par les femmes, on condamne même la charia. Cette condamnation ne fera pas que les dispositions de la charia ne s’appliqueront pas. Elles s’appliqueront tout simplement sous le tapis, sous le radar.
La position que je défends ne néglige pas les abus de pouvoir qui peuvent se manifester à l’intérieur de communautés religieuses. Elle doute que l’interdiction et le recours au pouvoir coercitif de l’État permettent à celui-ci d’entamer ce pouvoir, par exemple l’éducation, par exemple la mixité, par exemple la création d’institutions scolaires dans lesquelles les gens de diverses confessions se regroupent.
Étant libéral, je fais une différence extrêmement catégorique entre le droit que l’on reconnaît aux adultes majeurs et consentants qui peuvent user de leur liberté comme bon leur semble et dont nous devons défendre la liberté, même quand, et peut-être surtout quand ils font des choses qui ne nous paraissent pas telles que l’on voudrait qu’elles soient, et la situation des enfants. On peut débattre jusqu’à minuit pour savoir à quel moment cesse l’enfance et commence l’âge adulte. Est-ce à quinze ou seize ans ? Il y a de toute évidence une part d’arbitraire dans cela. Mais il y a de toute évidence une période de la vie de l’être humain pendant laquelle il et elle sont en train de former leurs opinions, de former leur capacité rationnelle qui les rendra aptes par la suite à développer de manière autonome leur propre conception de la vie bonne. Et je pense qu’il faut protéger l’enfance contre les velléités aussi bien de l’État que des communautés religieuses et je suis tout à fait opposé au financement des écoles religieuses dans l’État québécois ou ailleurs, parce qu’il me semble que c’est un moyen de faire le contraire de ce que l’on devrait faire à l’école soit encourager le développement de la capacité rationnelle de l’enfant qui deviendra adulte.
Donc, je conclurai là-dessus. Il y a deux aspects de la défense de la laïcité ouverte que j’ai tenté de mettre de l’avant dans mes écrits et j’espère modérément pouvoir vous convaincre de leur pertinence ce soir.
Il y a une défense de principe et les principes sont ceux que j’ai mentionnés. La liberté individuelle n’est pas quelque chose à négliger. La liberté individuelle est quelque chose que nous devons protéger, même lorsqu’elle a des effets qui nous déplaisent. Défendre uniquement la liberté de gens qui font des choses qu’on aime, ce n’est pas défendre la liberté.
Il y a également une défense que je dirais non pas de principe, mais pragmatique. Il me semble que l’utilisation de l’appareil coercitif de l’État, l’interdiction, est une manière extrêmement médiocre d’atteindre les objectifs que nous visons. Premièrement, parce que, comme le soulignaitJohn Locke, le pouvoir coercitif de l’État, l’interdiction, peut atteindre les comportements des gens, mais il n’atteint pas leur cœur. Ainsi, des gens éviteront de porter des symboles religieux au travail, mais dans leur for intérieur, ils ne seront pas du tout en accord avec les arguments qui les auront amenés à devoir s’en dévêtir. Il faut, je pense, utiliser d’autres stratégies que celles de la coercition, si nous voulons atteindre l’objectif qui nous réunit tous ici : créer une société qui est respectueuse des libertés des uns et des autres et qui cherche à faire en sorte que, tous et chacun, nous soyons maximalement immunisés contre les types de pouvoirs dont nous pouvons craindre les abus, que ces pouvoirs soient publics ou privés. La coercition n’atteindra pas cet objectif à mon sens, Nous devons avoir recours à des moyens beaucoup plus indirects : l’éducation, la mixité, le contact, le dialogue,la conversation. Allerau contact de l’autre plutôt que de nier la validité de ce qu’il prétend, de ce qu’il croit et de la manière dont il s’habille. Et c’est comme ça, me semble-t-il que nous atteindrons de façon durable une société qui, non seulement dans les gestes et les comportements, mais dans le for intérieur, sera une société unifiée.
Henri Pena-Ruiz est maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris et professeur agrégé de philosophie au Khâgne (classe supérieure classique) au Lycée Fénelon. Philosophe et écrivain défendant les valeurs de solidarité, il est devenu un spécialiste des questions de laïcité qu’il pose comme fondement de l’universalité. C’est à ce titre qu’il a été en 2003 l’un des 20 sages de la commission sur la laïcité présidée par Bernard Stasi. Il a publié une quinzaine d’ouvrages sur la laïcité et sur les valeurs de la République, dont le livre Qu’est-ce que la laïcité (Gallimard, 2003) Il a récemment publié Entretien avec Karl Marx (Gallimard, 2003), Paris, Plon 2012.
Pourquoi la laïcité est-elle devenue un enjeu essentiel ? Nous vivons dans un monde déchiré. Un monde qui s’interroge beaucoup sur son devenir. Jamais l’humanité n’a eu autant de moyens pour satisfaire tous les hommes. Et pourtant, il y a de nouvelles figures de la misère, de la détresse, et dans ce contexte-là sont réapparus des sortes de replis identitaires qui ont une fonction compensatoire. Et c’est dans ce contexte là, un peu crucial, un peu douloureux, que la question de la laïcité est revenue, en quelque sorte, sur le devant de la scène.
Je voudrais tenter, rapidement, de dire ce que constitue pour moi la laïcité, et je voudrais partir d’un présupposé que tous les trois qui sommes ici, nous sommes évidemment favorables à la liberté. Nul d’entre nous ne veut enfermer les êtres humains. La liberté, comme disait Rousseau, n’est pas de l’ordre d’un bien que l’on pourrait avoir ou ne pas avoir. Elle est de l’ordre de l’être. C’est bien pourquoi, d’ailleurs la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la déclaration de 1789 commence par dire : Les êtres humains – je corrige un peu, car elle disait « les hommes » – les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits. Et donc la liberté ici ne dépend plus de l’arbitraire du prince. Elle est enracinée dans l’essence même de l’humanité, Sitôt qu’un être humain nait, ouvre les yeux, accomplit le cri primal, il doit être reconnu comme apte àla liberté. Et la liberté est la vocation même de l’humanité. Elle est à la fois la condition de possibilité de son épanouissement et la finalité même de l’organisation, reprise par la révolution française, du politique.
…la révolution française, entre autres choses, a redéfini la fonction de l’État. L’état n’est plus une instance de domination, mais conformément à Jean-Jacques Rousseau, une instance d’autorégulation.
C’est pourquoi je voudrais distinguer État et État. Il y a effectivement des États dominateurs. Des États oppressifs. Mais la révolution française, entre autres choses, a redéfini la fonction de l’État. L’état n’est plus une instance de domination, mais conformément à Jean-Jacques Rousseau, une instance d’autorégulation. La souveraineté populaire signifie que le peuple se donne à lui-même sa propre loi et non plus qu’il reçoit verticalement un commandement divin par médiation d’un roi qui serait monarque de droit divin, mais que horizontalement, les hommes contractent entre eux, dans un contrat social qui génère le pouvoir d’autorégulation. Ça s’appelle démocratie, souveraineté populaire et république. Cet état là, pour moi, n’est pas producteur de destruction de liberté, mais il est au contraire émancipateur.
Émancipateur par rapport à quoi ? Par rapport à des traditions, souvent religieuses, qui s’appuient sur des usages et sur des rapports de force. L’excision du clitoris n’est pas une liberté. C’est une mutilation du corps de la jeune fille sans qu’elle soit sollicitée. Je n’appellerai pas liberté le fait de laisser, dans une communauté particulière, des petites filles mutilées par excision du clitoris. Il faut être clair, ne pas sombrer dans le relativisme, car le relativisme fait le lit de la tyrannie.
La notion machiste de chef de famille qui pendant quinze siècles d’Europe catholique, a fait que les femmes étaient les secondes de l’homme « le deuxième sexe » comme écrit si justement Simone de Beauvoir, cette notion machiste de chef de famille ne peut pas être laissée en l’état, sous prétexte qu’on laisserait la liberté à certains tenants. Donc, favorables à la liberté, nous le sommes tous, mais il s’agit de savoir comment on va organiser au mieux les libertés individuelles, de telle façon que le rapport de force n’assujettisse pas certaines personnes à d’autres.
Pour ma part, le premier principe qui définit la laïcité, ce n’est pas la liberté religieuse. C’est la liberté de conscience. S’il y a dans cette salle des croyants, des athées et des agnostiques, ils ont le droit à une égalité de traitement.
Lorsque j’étais dans la commission Stasi, il y a un témoignage qui nous a bouleversés, je dis nous et pas seulement moi. C’est le témoignage de Chahdortt Djavann, qui a écrit un livre qui s’appelleBas les voiles et qui venait d’Iran, dont elle s’était exilée parce qu’elle estimait que l’obligation pour la jeune fille de cacher entièrement son corps, parce qu’elle était une chose destinée à l’homme qui la posséderait comme on possède une chose, était attentatoire à sa propre liberté de disposer d’elle-même. Et qui ne voit ici que, sous prétexte d’une tolérance universelle, aveugle et non définie, on risque de consacrer un rapport de force qui ne laissera libre que le plus fort et assujettira la plus faible.
À partir de là, posons la question de la liberté et de l’égale liberté. Pour ma part, le premier principe qui définit la laïcité, ce n’est pas la liberté religieuse. C’est la liberté de conscience. S’il y a dans cette salle des croyants, des athées et des agnostiques, ils ont le droit à une égalité de traitement. Il n’est pas normal que la religion jouisse d’un privilège public, alors que l’athéisme, comme l’humanisme athée par exemple de Jean-Paul Sartre ou d’Albert Camus – ils ont suffisamment montré qu’ils étaient des humanistes, qu’ils avaient foi en l’humanité et donc qu’ils n’étaient pas des gens immoraux sous prétexte qu’ils ne croyaient pas en Dieu – eh bien, il me semble que dans une société démocratique, laïque, républicaine qui reconnaît l’égale liberté de tous les citoyens, il faut poser comme premier principe la liberté de la conscience humaine et l’égal traitement des croyants, des athées et des agnostiques. Je trouverais bizarre d’appeler liberté religieuse le choix de l’humanisme athée. Ce serait presque une contradiction in adjecto.Donc, le premier grand concept de la laïcité, c’est la liberté de la conscience humaine. Marc Aurèle,, philosophe stoïcien disait : « La conscience est imprenable. C’est une citadelle intérieure. ». Eh bien, nous retiendrons ce premier principe.
Et quel est le rôle d’un État républicain, refondé par le contrat social ? C’est de promouvoir cette liberté là. Mais on sait bien que pour que la liberté de conscience soit pleine et entière, il faut qu’elle soit sous-tendue par l’autonomie de jugement. Telle est la mission de l’école laïque, républicaine, publique. Ce n’est pas de faire du prosélytisme religieux. Ce n’est pas non plus de faire du prosélytisme athée. Cette école sera neutre – neuter en latin veut dire ni l’un, ni l’autre – c’est à dire qu’elle ne choisira pas de privilégier la religion, mais elle ne choisira pas non plus de la combattre. Elle aura pour but de promouvoir, par le savoir et la connaissance, l’autonomie de jugement, c’est à dire la faculté qu’a un être de se donner à lui-même ses propres pensées. La liberté de conscience, fortifiée par l’autonomie de jugement grâce à l’école laïque est le premier principe de la laïcité.
Le deuxième principe découle des droits de l’être humain, ces droits de l’homme ne sont ni ouverts, ni fermés, ce sont des droits de l’homme sans adjectif, comme doit l’être la laïcité, parce quand on dit « laïcité ouverte », on insinue, sans le dire explicitement, que la laïcité sans adjectif serait « fermée ». C’est donc une insulte à la laïcité. Et c’est pourquoi je milite, moi, pour la laïcité sans adjectif. De la même façon que l’on dit « droits de l’homme »… on ne dit pas « droits de l’homme ouverts »… on dit « justice »… on ne dit pas « justice ouverte »… eh bien on va dire « laïcité ».
Et c’est quoi la laïcité ? C’est la liberté de conscience fondée sur l’autonomie de jugement, et c’est l’égal traitement des croyants, des athées et des agnostiques. L’État n’a pas à donner conception de la vie bonne, ce qui veut dire qu’il n’a pas à promouvoir la religion, ni à la combattre, ni à promouvoir l’athéisme, ni à le combattre. L’Union Soviétique stalinienne fermant les églises était anti-laïque. La Pologne catholique imposant la prière publique dans les écoles est anti-laïque. La laïcité – et je crois que mes amis Québécois qui défendent cette idée d’une laïcité sans adjectif l’ont parfaitement vu – la laïcité c’est le souci de mettre en avant ce qui est commun à tous les hommes.
La religion n’est pas commune à tous les hommes, mais à certains hommes. Le souci de la santé, de la culture, de l’instruction, des services publics, est commun à tous. Lorsqu’un croyant tombe malade, il faut qu’il soit traité le mieux possible dans un hôpital public et que la qualité des soins qui lui sont dispensés ne soit pas proportionnelle à ce qu’il peut payer. Voilà quelque chose d’universel dont l’État doit s’occuper. Mais l’État n’a pas à s’occuper – je rejoins Monsieur Weinstock sur ce point – de financer sur fonds publics des écoles privées religieuses, pas plus qu’il ne doit s’occuper de construire des lieux de culte sur fonds publics, pas plus qu’il ne doit répondre à des demandes spécifiques de religieux, car la religion est une affaire privée, en ce sens qu’elle n’engage que les croyants. L’athéisme est une affaire privée qui n’engage que les athées.
Et il faut arrêter de toujours demander quelque chose à l’État : tantôt un accommodement par ci, un accommodement par là, un repas halal par ci, un repas cachère par là, un repas machin, un repas truc. Il faut arrêter. L’État n’est pas un supermarché. L’État a en charge une mission autrement plus importante ; c’est de faire vivre ensemble des êtres humains sur la base de ce qui peut leur être commun, et de ce qui transcende les différences. C’est l’universel qui transcende le particulier.
Et je crois qu’il y a trois principes indissociables qui définissent la laïcité.
- la liberté de conscience fondée sur l’autonomie de jugement,
- l’égalité de droits, sans distinction d’option spirituelle, les religions étant une option spirituelle parmi d’autres, l’humanisme athée une autre, l’humanisme agnostique une autre,
- et l’orientation universaliste de la puissance publique. La puissance publique n’est pas là pour répondre aux demandes particulières, elle est là pour répondre aux demandes universelles de tous les citoyens.
C’est pourquoi la laïcité sans adjectif est un principe universel et fraternel qui met en avant ce qui est commun à tous les êtres humains. La petite fille dont on excise le clitoris par croyance religieuse est privée de son intégrité sexuelle, physique et affective. On ne peut pas sous prétexte de liberté et de tolérance accepter que la loi communautariste prenne le pas sur les principes universels des droits de l’être humain, dont l’intégrité physique est essentielle. La notion de chef de famille qui assujettit la femme à l’homme et qui est comprise dans les trois religions du livre, aussi bien le judaïsme (« Tes désirs te porteront vers ton mari et lui dominera sur toi ») aussi bien le christianisme (« Femmes, soyez soumises à vos maris » épître de Paul aux Corinthiens), aussi bien l’islam (deuxième sourate « La femme a un degré de préséance de moins que l’homme ») ces trois religions ont commis la grave erreur de prêter à leur Dieu des préjugés historiquement déterminés. Ce qui veut dire que, théoriquement, un Dieu éternel aurait des pensées historiques. Bizarre.
Donc, effectivement, ce qui est éternel, ce n’est pas les préjugés d’une époque patriarcale, mais ce par quoi, en luttant pour leur émancipation, les êtres humains, hommes et femmes réunis, ont au meilleur d’eux-mêmes. « La femme est l’avenir de l’homme » disait Louis Aragon, ce qui veut dire que le jour où l’homme a abandonné ses réflexes machistes, il devient un partenaire autrement plus intéressant, pour elle et pour lui-même. Donc, effectivement, je crois qu’il ya là quelque chose de fort intéressant à concevoir et je terminerai là-dessus, ce sera mon mot de conclusion.
Il y a deux façons de s’unir, dans une société. On s’unit par ce qui abaisse, par ce qui assujettit ou on s’unit par ce qui élève. La laïcité propose d’unir les êtres humains par cela même qui les élève au meilleur d’eux-mêmes. Or, qu’est-ce qui les élève au meilleur d’eux-mêmes ? C’est effectivement, la possibilité de disposer d’eux-mêmes
Il y a deux façons de s’unir, dans une société. On s’unit par ce qui abaisse, par ce qui assujettit ou on s’unit par ce qui élève. La laïcité propose d’unir les êtres humains par cela même qui les élève au meilleur d’eux-mêmes. Or, qu’est-ce qui les élève au meilleur d’eux-mêmes ? C’est effectivement, la possibilité de disposer d’eux-mêmes.
Mais quand une femme est obligée de porter le voile intégral, qu’elle n’a même plus le droit au visage, qu’elle voit le monde derrière un grillage de toile, qu’on ne parle pas de liberté individuelle à ce propos. Il faut effectivement quelques fois normer les données vestimentaires. On n’accepterait pas qu’un enfant vienne à l’école tout nu. On lui dirait, il y a une norme de pudeur à respecter. Je ne crois pas que de ce point de vue là, on empièterait sur sa liberté. Donc, la liberté individuelle n’est pas sans limite. La liberté individuelle doit être une authentique liberté.
Je pense que la laïcité n’est pas plus ouverte ou fermée que française ou je ne sais pas quoi. C’est un idéal universel qui a fait du bien aux Mexicains de Benito Juarez, aux Indiens de Ghandi, aux Français, bien sûr et je crois que c’est un idéal qui fera le tour du monde. Je crois qu’il faut en être convaincu.
Réaction des participants à leurs présentations respectives
Daniel Weinstock
Deux remarques suscitées par la présentation de Caroline Beauchamp et deux, sur celle de Monsieur Pena Ruiz. Premièrement, un point sur lequel je suis entièrement d’accord avec Madame Beauchamp et je crois qu’il important qu’on commence à jeter des ponts, à voir ce qui est commun et ce qui est différent, dans les diverses positions que l’on défend.
Je suis entièrement d’accord avec Madame Beauchamp que l’institutionnalisation de la laïcité que l’on finira par se donner au Québec, si elle doit être viable et durable, elle ne doit pas être le résultat de diktats juridiques, mais d’une délibération démocratique. Je crois que nous avons une fâcheuse tendance, dans cette société, à nous en remettre aux juges pour décider quelle conception de la laïcité on aura, si les gens auront le droit de mourir dans la dignité lorsqu’ils sont très malades ou non. Le politique a tendance à abdiquer au profit du juridique et je pense que cela ne donne pas toujours des résultats très heureux. Les tribunaux au Canada ont eu tendance à formuler une conception de la laïcité qui est plutôt proche de celle que je défends et on pourrait donc penser que je m’en félicite. Je ne m’en félicite pas, parce que j’estime que cette question ne devrait pas être enlevée à la délibération démocratique parce que, d’un point de vue pratique, cette laïcité ne prendra pas racine, si elle est entièrement dictée par les tribunaux. Donc, là-dessus, je suis d’accord que nous devons trouver des moyens de nous approprier ce débat en tant que démocratie, plutôt que de le confier à nos juges, tentation à laquelle nos politiciens cèdent trop souvent.
Je suis entièrement d’accord avec la conception de l’État avec laquelle le professeur Pena Ruiz a amorcé la discussion, en théorie et dans l’idéal. Je crois qu’un regard un peu froid et lucide sur les États dans lesquels nous vivons, sur notre État, nous amènera à constater qu’il se comporte malheureusement trop rarement comme cette république, au sens étymologique du terme, que Rousseau nous a appris à aimer. Il faut donc que l’on fasse un choix en tant que théoriciens et en tant que citoyens. Voulons-nous institutionnaliser la laïcité ou quoi que ce soit d’autre, en fonction d’un idéal d’État qui, historiquement, n’a que rarement été réalisé parmi les êtres humains ou voulons-nous voir l’État comme il est, c’est à dire peuplé que par des êtres humains pour qui la tentation du pouvoir, la tentation de l’utilisation du pouvoir coercitif de l’État est une tentation constante ?
Ma propre tendance personnelle est d’aller plutôt dans le deuxième sens, tout philosophe que je sois. Je suis anxieux par rapport à l’utilisation d’utopies philosophiques pour décrire le réel. Bien qu’il s’agisse d’idéaux régulateurs, je ne pense pas que nous soyons encore arrivés à mettre en place des États caractérisées comme Monsieur Pena Ruiz le fait en citant Rousseau.
Autre observation : il y a une éthique de discussion que nous devrions nous imposer. J’espère que vous la recevrez dans l’esprit de camaraderie intellectuelle dans lequel elle est formulée : je ne vous balancerai pas Marine Le Pen si vous convenez de ne pas me balancerla clitoridectomie. Aucun défenseur de la forme de laïcité que je défends n’a jamais défendu l’idée qu’il faille avaliser une pratique aussi sauvage quela clitoridectomie. Quandon parle d’accommodements, on parle d’accommodements raisonnables. Au Québec, le mot raisonnable est souvent dit avec une pointe d’ironie et d’humour. Je le prends très au sérieux. J’estime qu’il ya des limites que l’on peut et que l’on doit imposer à l’accommodement et que la clitoridectomie est à mille lieux de cette contrainte du raisonnable. Donc, vous connaissez peut-être des défenseurs de la laïcité comme celle que je défends qui ont défendu la clitoridectomie. Si c’est le cas, je m’en dissocie de manière absolument catégorique. Je crois que nous devons de manière générale éviter de critiquer les positions les uns des autres en fonction de leurs dérives possibles. Donc, en revenant à ma boutade de tout à l’heure, je ne taxerai jamais un défenseur d’une laïcité républicaine du fait que Marine Le Pen ait décidé d’en faire ses choux gras pendant la campagne électorale. Mais il faudrait, en même temps, que l’on ne me fasse pas le procès d’une conception de la laïcité comme celle que je défends en la taxant d’ouverture à des pratiques aussi sauvages que celle de la clitoridectomie.
Henri Pena Ruiz
Monsieur Weinstock, je ne m’offusque de rien. Simplement, je voudrais vous faire remarquer que, moi, je veux bien parler de Marine Le Pen, Mais, Marine Le Pen, c’est une contrefaçon, c’est une caricature de la laïcité. Cette femme n’a jamais été laïque. Elle a toujours été hostile à l’interruption volontaire de grossesse. Elle a toujours été favorable aux privilèges exorbitants de l’école privée catholique qui bénéficie de la Loi Debré de décembre 1959. Donc, Marine Le Pen accomplit la même opération détestable de xénophobie et de racisme que son père, à ceci près qu’elle fait une ruse, elle se drape dans le drapeau républicain, liberté, égalité, fraternité, et dans la laïcité. C’est à dire qu’elle essaie de donner une honorabilité à ses visées racistes et xénophobes, en les travestissant avecla laïcité. Marine Le Pen n’est pas laïque du tout. Elle essaie simplement de stigmatiser une partie de la population de France alors que nous devons beaucoup en France à l’immigration. Il faut le rappeler. Moi, j’ai fait la campagne, en France, contre Marine Le Pen. J’étais très engagé dans la défense de la laïcité dans cette campagne et je n’ai cessé dans mes meetings politiques de faire des explications du rapport entre les cotisations que paient les personnes issues de l’immigration et les prestations qu’elles reçoivent. Or, contrairement à ce que dit Marine Le Pen, l’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui en coûte. Et donc, il faut prendre le contrepied de ça.
Alors, maintenant, je voudrais revenir sur la question de l’excision du clitoris. Vous dites l’excision du clitoris, c’est une abjection, nous en sommes d’accord. Je ne vous ai jamais imputé, jamais, cela. Le problème, c’est celui de la loi. Quand vous dites il faut débattre, il faut débattre. Je vous l’accorde aussi. Mais en démocratie, le but du débat démocratique dans l’espace public délibératif de la démocratie, c’est quand même de déboucher sur une décision. Et la décision, elle a un nom : la loi.
Donc, qu’est-ce qu’une loi ? Ce n’est pas nécessairement un moyen d’oppression de certains hommes sur d’autres. Ça peut être une libération. Quand on a fait, par exemple, la loi de la limitation du travail, en 1864, il y a eu la loi des 12 heures, que Marx a applaudie au niveau de l’Internationale. Parce que, pour la première fois, une loi interdisait aux patrons d’employer les ouvriers plus de 12 heure par jour. Vous vous rendez compte. Multipliez par six, ça donne 72 heures. La semaine de 72 heures. Eh bien, une loi peut avoir une fonction libératrice et émancipatrice.
Alors, comment, comment empêcher une excision du clitoris, sinon par une loi, en disant que toute atteinte à l’intégrité de la personne physique est un délit. Comment empêcher que des témoins de Jehova, au nom du refus, du non mélange des sangs, inspiré par un texte du Lévitique, prétendent empêcher la transfusion sanguine d’un enfant, en faisant une loi qui consiste à dire que toute absence d’assistance à personne en danger est un délit. Donc, vous voyez bien qu’on peut recourir à des lois. On ne peut pas condamner la loi dans sa dimension coercitive, abstraitement, comme vous semblez le faire. Ce que l’on peut condamner, c’est le fait qu’une loi soit arbitraire, qu’elle ne soit pas justifiée. Exemple : la loi qui réprimait l’homosexualité était une abjection, parce qu’elle prétendait dire que l’hétérosexualité était la conception de la vie bonne et l’homosexualité, une conception de la vie mauvaise. Donc là, la laïcisation a fait en sorte que l’on a dépénalisé l’homosexualité parce que c’est une façon pour l’État de dire : je n’ai rien à dire sur les pratiques sexuelles des êtres humains, pourvu qu’ils respectent le droit commun, pourvu qu’ils se respectent mutuellement. Donc, voilà, j’ai pratiquement terminé.
…si vous installez au coeur de l’école la domination des chefs politico-religieux, sous prétexte de tolérance abstraite, en refusant de légiférer, vous allez livrer des dizaines de milliers de jeunes filles à l’emprise des chefs politico-religieux. Et je ne pense pas que ce soit un service que l’on rende à leur liberté.
Ce que je veux dire maintenant : je ne suis pas un adversaire de la loi. Il faut des bonnes lois. La loi qui interdit les signes religieux, et pas seulement le voile, mais aussi la kippa ou la croix charismatique, la loi qui interdit les signes religieux et pour laquelle j’ai ardemment milité au sein de la Commission Stasi a libéré beaucoup de jeunes filles, par exemple, parce que, ce que nous disait Chahdortt Djavann c’est, si vous installez au coeur de l’école la domination des chefs politico-religieux, sous prétexte de tolérance abstraite, en refusant de légiférer, vous allez livrer des dizaines de milliers de jeunes filles à l’emprise des chefs politico-religieux. Et je ne pense pas que ce soit un service que l’on rende à leur liberté. Et c’est cela qui a fait que la loi issue de la Commission Stasi a eu une dimension parfaitement émancipatrice. D’ailleurs, il y a un rapport d’une femme qui s’appelle Anita Sherifi qui était d’origine tunisienne, de l’Inspection générale de l’éducation nationale, qui a montré les bienfaits de cette loi. Il n’y a pas eu du tout de déscolarisation des enfants, comme on l’a prétendu. Parce qu’il y avait un argumentaire des adversaires de cette loi qui disaient : « Comment, si je ne peux pas venir à l’école comme je veux, vous m’excluez. Et donc, je ne bénéficierai plus de la fonction émancipatrice de l’école. » Désolé, c’est du chantage. Aucun lieu, scolaire notamment, ne peut vivre sans un minimum de règles et chacun le sait. Quand on voit, par exemple, que dans la majeure partie des écoles anglaises, tous les enfants sont soumis à la même tenue vestimentaire, un uniforme, je trouve qu’après, quand certains journalistes anglais ont critiqué la loi Stasi, ils auraient mieux fait de balayer devant leur porte.
La loi issue de la Commission Stasi qui n’avait qu’une finalité, pas de persécuter la religion, mais de dire que dans l’espace scolaire officiel, il n’y a pas de raison pour que les enfants se marquent et se démarquent les uns des autres par des signes d’appartenance qui engendrent trop souvent le conflit. Eh bien, on a dit qu’il fallait que l’école soit un lieu de partage serein de la culture et du savoir qui émancipe tout le monde. Et pour cela, il y a des règles minimales imposées. Donc, contrairement à la présentation biaisée qu’on en a faite, Cette loi issue de la Commission Stasia eu une dimension émancipatrice.
Caroline Beauchamp
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse brandit exactement le même argument : si on interdit aux petites filles de venir à l’école publique voilées, elles quitteront l’école publique et se ramasseront dans des ghettos, des écoles religieuses privées. C’est écrit noir sur blanc. Je suis juriste et j’en ai parfois contre certains autres juristes qui font de la démagogie. Ils prétendent dire le droit et la vérité, alors que dans ce domaine, la vérité est multiple et le droit est aussi un débat.
J’aimerais revenir, Monsieur Weinstock sur votre préoccupation quant à la loi qui interdit. Je comprends votre argument : il y a d’autres moyens que d’interdire pour arriver à ses fins et j’en suis tout à fait. Cependant, je crois que parfois, il n’y a pas d’autre recours que d’interdire, tout en prenant par ailleurs d’autres mesures. Je cite l’exemple de la langue française au Québec. Si nous n’avions pas eu la Charte de la langue française, où en serions-nous aujourd’hui ?
Évidemment que c’est contraire à la liberté d’expression, qui nous est très chère. On a voté cette loi et elle a été adaptée par la Cour suprême. Mais elle nous a permis de franciser les immigrants et d’interdire à ces gens d’aller à l’école en anglais.
L’interdiction bête et méchante n’est pas heureuse. Mais vu la situation du Québec en Amérique du Nord, il y a une nécessaire obligation d’orientation du gouvernement. N’abdiquons pas nos responsabilités politiques. N’attendons pas de nous faire dire ce qu’il faut faire par les tribunaux. Donnons une orientation : l’État n’est pas religieux et les personnes qui le représentent… même si elles ont des convictions religieuses orthodoxes ou autres… mais quand elles travaillent, quand elles assurent une prestation de l’État, elles sont astreintes à un devoir de réserve.
Questions et commentaires de la salle
Q. Irène Doiron, professeur de philosophie, j’ai entre autres écrit Cachez cette chevelure que je ne saurais voir que vous retrouverez sur Internet. Caroline Beauchamp, vous avez dit qu’être citoyenne, citoyen du Québec, c’est souscrire à des valeurs communes, Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cela. Je crois que la seule chose à laquelle on soit soumis comme citoyen, c’est l’obéissance aux lois. Il y a certaines valeurs de la société que je ne partage pas, comme le consumérisme, et j’ai le droit de ne pas souscrire à cette valeur là, qui est actuellement dominante. À propos du Manifeste pour un Québec pluraliste, je l’ai lu plutôt deux fois qu’une. Vous dites qu’interdire les signes religieux ostentatoires dans les services de l’État, ce serait pénaliser les groupes qui entretiennent les prescriptions religieuses les plus strictes. Or, je vous pose la question : la laïcité ouverte a-t-elle pour but de favoriser ces groupes qui sont aussi les plus rétrogrades et je voudrais ajouter que les prescriptions religieuses ont des effets sur la société. ¨Ca évolue, ça se construit socialement. Les religions ont des effets sociaux et l’État doit intervenir, notamment pour protéger les enfants qui ne doivent pas être soumis à des prescriptions, qui doivent être capables de connaître le monde. Voilà pourquoi au Québec les écoles doivent enseigner les matières de base. Voilà pourquoi les écoles doivent être un lieu neutre.
Caroline Beauchamp
J’estimais que les lois exprimaient les valeurs qui les sous-tendent. Je ne vois pas la distinction que vous faites.
Daniel Weinstock
On ne veut pas accommoder les communautés les plus orthodoxes. Ce qu’on veut dire, c’est que différentes religions se situent différemment quant aux obligations vestimentaires, par exemple. Pour certaines religions c’est une bagatelle. Pour d’autres, non.
J’étais en Israël. Les Israéliens laïcs ont une préoccupation. Leur communauté ultraorthodoxe fait beaucoup de bébés. Du point de vue démographique, ça cause certains problèmes. Et la question que se posent les Israéliens laïcs c’est de faire en sorte que l’État lui même, bien qu’il soit Juif, ne soit pas représenté par des symboles religieux. Ces gens là ont donc été exclus parce qu’ils ne se présentaient jamais pour travailler dans un poste gouvernemental si on leur interdisait de porter la kippa. Maintenant, on s’est dit qu’on s’est peut-être trompé. Car en les excluant, leur proportion démographique continuera à croître. La seule solution est de les inclure afin qu’ils subissent l’influence cumulative du milieu, de gens qui sont différents d’eux. Cela pourra leur ouvrir les yeux, les amènera à prendre conscience du fait qu’il y a d’autres manières d’être.
Q. Question à Monsieur Pena Ruiz est-ce que le militant laïque est habilité à dire quelque chose sur les signes religieux dans l’espace public ?
Henri Pena Ruiz
Il y a espace public et espace public. Ce que l’on appelle espace public, c’est souvent confus. Moi, je dirais que si l’espace public, c’est la sphère officielle du cadre politique et juridique de l’État qui organise nos rapports à nous, oui, le militant laïque a le droit de dire que ceux qui représentent l’État et qui mettent en oeuvre les fonctions régulatrices de la puissance publique ne doivent en aucun cas s’afficher du côté d’une religion.
Pourquoi ? Parce que ce qui nous unit à tous doit être universel. Un signe religieux est particulier. Donc, il faut que quand quelqu’un entre dans sa fonction publique, il s’identifie à cette universalité. Je vous donne un simple exemple.
Georges Clémenceau, à la fin de la première guerre mondiale, préside le conseil des ministres. Nous sommes en 1918. Je sais d’ailleurs que les Canadiens ont payé un lourd tribut de sang pour la France en 1918 et en 1939. À ce moment là il n’y a pas une famille française qui ne compte un blessé ou un mort. Et l’archevêque de Paris décide de donner un Te Deum à Notre Dame de Paris. Délibération du gouvernement. Georges Clémenceau, grand laïc, dit : « J’autorise mes ministres à se rendre à Notre Dame, mais pas es qualités. Pas dans leur statut de représentant du gouvernement. Ils iront à titre privé. Ils se noieront dans la foule. Il est hors de question qu’ils siègent dans les travées officielles de Notre-Dame de Paris. » La position de Georges Clémenceau est absolument exemplaire. Nicolas Sarkozy ne l’a pas respectée, lui.
Quand Monsieur Sarkozy a privilégié les catholiques en France, en disant : « La France a besoin de croyants », c’était une honte, parce qu’il affichait, dans l’exercice de ses fonctions, une position qu’il n’avait pas à afficher.
Je ne suis pas un homme de l’utopie, Monsieur Weinstock. Je pense que les idéaux sont faits pour être respectés. Et quand les États ne les respectent pas, c’est au nom des idéaux qu’on peut les interpeller. Quand Monsieur Sarkozy a privilégié les catholiques en France, en disant : « La France a besoin de croyants », c’était une honte, parce qu’il affichait, dans l’exercice de ses fonctions, une position qu’il n’avait pas à afficher.
Si j’entre dans ma classe de l’école publique en disant à mes élèves : « La république a besoin de croyants », les parents d’élèves m’attaqueront à juste titre en disant : « Monsieur, Pena Ruiz, vous n’avez pas de légitimité à utiliser la fonction publique qui vous est donnée pour faire valoir vos convictions particulières. » C’est à dire qu’il y a un sens de l’universel et du particulier. Quelle est la boussole, cher Monsieur ? La boussole, c’est celle-là. Quand les fonctions officielles et régulatrices de la République ou de la puissance publique ne sont pas respectées, par des religieux qui font d’abord passer leur foi avant la loi, alors, le militant laïque a quelque chose à dire. En revanche, quand des religieux dans leur espace privé collectif, dans leur lieu de culte, ou dans leur espace privé individuel, par exemple dans leur maison, ou dans l’espace collectif non officiel, par exemple dans la rue, dans les limites du droit commun, arborent des signes religieux, ça ne dérange pas le militant laïque. Voilà la ligne de partage que je vous propose.
Q. Suis-je anti-laïque si je suis contre la burka dans l’espace public ?
Henri Pena Ruiz
La burka, c’est autre chose. C’est une atteinte à la dignité de la femme. Elle n’a pas droit au visage. Elle n’a pas le droit de montrer son corps. Elle n’a pas le droit de montrer ses cheveux. Elle est la chose possédée par l’autre. Et donc, ce n’est plus seulement une affaire de sécurité. C’est une affaire de dignité. En France, toute atteinte à la dignité est un trouble à l’ordre public. Et c’est une bonne chose. Parce que dans un état de droit, la fonction de la régulation législative est de protéger les droits de l’être humain. Et quand la moitié du genre humain a le corps entièrement enseveli sous un voile intégral et découvre le monde avec les yeux retranchés derrière un grillage de toile, sa dignité n’est pas respectée. C’est la raison pour laquelle il faut interdire la burka dans l’espace public collectif et partout.
Le voile partiel, le foulard, comme on dit, la kippa, c’est autre chose, c’est dans les lieux publics officiels qu’il faut les interdire.
Q. Daniel Baril.http://www.vigile.net/_Baril-Daniel_ Question à Madame Beauchamp. Quand vous avez abordé la question du port de signes religieux par des fonctionnaires, vous avez utilisé l’expression « signes ostentatoires ». Faites-vous une distinction entre « signes ostentatoires » et « signes ostensibles » ? Et si c’est le cas, comment faire la différence dans une loi ? En France, la directive qui a suivi la commission Stasi parlait de « signes ostentatoires » pour les élèves, mais de la part des fonctionnaires, c’est tout « signe ostensible ». Je voudrais vous entendre là-dessus. Un commentaire à Monsieur Weinstock. Quand vous refusez les interdits de l’État pour laisser libre cours aux accommodements raisonnables religieux, vous dites qu’il vaut mieux avoir recours à l’éducation et vous donnez l’exemple de la mixité. Obliger la mixité, c’est interdire la ségrégation sexuelle que désirent certaines religions. Donc, on n’en sort pas. Il doit y avoir interdit quelque part. Vous refusez de balancer à Monsieur Pena Ruiz la question de Marine Le Pen sur la laïcité, mais l’on sait très bien que plusieurs défenseurs de la laïcité ouverte l’on fait, à commencer par Jean Bauberot dans son dernier volume. Il dit que non seulement la laïcité est instrumentalisée par l’extrême droite, mais il en fait une idéologie de droite, sans nous dire que toute la droite religieuse est aussi du côté de la laïcité ouverte. Ça a été balancé amplement, notamment au Québec quand le Parti Québécois a soulevé la question de l’abattage halal. Depuis, des journalistes défenseurs de la laïcité ouverte associent le Parti Québécois à Marine Le Pen. Vous ne l’avez peut-être pas fait, mais, dans votre galaxie, on n’a pas manqué de le faire.
Caroline Beauchamp
La différence entre les signes ostentatoires et ostensibles a fait l’objet d’un débat en France et d’une directive. Je préfère parler de signes nettement visibles, donc très apparents. Le voile,la kippa. Desproblèmes se posent au niveau de la définition et il faudra décider, collectivement, où la ligne doit être tracée.
Henri Pena Ruiz
Je suis tout à fait d’accord avec ce que vient de dire Caroline. Je voudrais dire qu’au sein de la commission Stasi, on a réfléchi sur la distinction entre « ostensible » et « ostentatoire ». Il m’est venu une idée et je l’ai travaillée sur dictionnaire, c’est un peu mon rôle de philosophe au sein de la commission. Etj’ai découvert la chose suivante. Ostentatoire vient de ostendere, qui veut dire montrer, mais montrer avec le désir d’être vu. C’est à dire que c’est une manifestation. Et je distingue la manifestation, qui capte toujours le regard d’autrui, de l’expression. Car si je suis croyant, je peux avoir le désir d’exprimer ma croyance par un petit objet sensible qui exprime ma foi. Par exemple, si je suis catholique, je puis avoir un petit médaillon de la vierge et nul besoin de le montrer. Ce n’est pas du tout une manifestation. Je le cache dans mon chandail ou je le mets discrètement sur mon chandail. C’est une expression sensible de la foi, sans être une manifestation. La différence n’est pas seulement quantitative, une question de taille, elle est qualitative. La manifestation distincte de l’expression. Pardonnez-moi cette parenthèse sémantique. Elle n’est pas peut-être inutile.
Daniel Weinstock
Premièrement, j’ai distingué clairement entre les enfants qui, par définition, ne sont pas encore en mesure d’user de leur raison pour se tracer une voie autonome et les adultes, dont il faut respecter les choix. Donc, le fait d’organiser l’école – et là, je partage entièrement la vision de Monsieur Pena Ruiz – afin qu’elle favorise le développement par l’enfant de capacités critiques, de capacités de jugement autonome, de capacités qui lui permettra de se tracer une voie autonome à travers la vie, je pense qu’on peut défendre cela tout en défendant le droit des adultes qu’ils deviendront à faire ce qu’ils veulent de leur liberté, à l’intérieur de normes de recevabilité sur lesquelles on pourra revenir à un autre moment.
Une règle que je me suis fixée, à laquelle je n’adhère peut-être pas toujours parfaitement dans le feu de l’action, sur cette question là ou sur d’autres sur lesquelles je suis interpellé, est de ne pas utiliser des versions dévoyées des positions de mes adversaires pour les critiquer, mais de critiquer ce qu’ils ont de plus fort, plutôt que ce qu’ils ont de plus faible. Je ne me considère pas comme un relativiste, soit quelqu’un qui croit que tout se vaut. Donc si quelqu’un croit que l’excision est correcte, il ne faut pas le condamner au nom du relativisme. Je n’ai jamais été relativiste. Je crois, par contre, au respect des libertés individuelles. Mais elles ont des limites. En particulier le respect de la liberté d’autrui et de l’intégrité physique. Je ne connais personne de ma galaxie, comme vous dites, qui se soit porté à la défense de l’excision. Il y a peut-être des relativistes dans les planètes lointaines de ma galaxie. Mais ceux dans lesquels je me reconnais ne l’ont jamais fait. C’est pourquoi j’ai été un peu étonné que Monsieur Pena Ruiz commence sa réflexion en parlant de la clitoridectomie, plutôt que de quelque chose de plus toléré, puisque personne que je respecte n’a défendu cette pratique. Elle est hors champ dans nos débats et nous devrions peut-être nous concentrer sur les choses qui sont vraiment défendues par les gens raisonnables, plutôt que des caricatures. Le relativisme n’est pas une position à laquelle j’adhère et je pense que nous devons l’exclure comme une position plausible dans nos débats.
Q. Madame Beauchamp, vous avez évoqué le respect des croyances, ce qui m’a heurté. Les croyances ne sont pas respectables en elles-mêmes et l’on n’a pas à les respecter. Quand vous dites que la laïcité autorise toutes les croyances et toutes les convictions, c’est une erreur. Tout dépend des types de comportement que les systèmes de conviction peuvent entraîner. Certains systèmes de croyances comportent tout un ensemble d’archaïsmes, de tabous et d’interdits qui créent des situations très problématiques.
À Monsieur Pena Ruiz, vous soulignez que la neutralité de l’État ne l’amène pas à rester les bras croisés. Vous soulignez que neutralité n’est pas passivité. Qu’il y a un rôle actif de l’État. Pourriez-vous préciser ? Quelle est votre position sur la question de l’abattage, de la viande halal.
Caroline Beauchamp
J’utilise un langage juridique. Il y a la croyance et ce qui en découle. Toutes les croyances sont respectables, et il faut prouver une croyance sincère pour qu’une demande de liberté de religion soit accueillie. La cour suprême a bien fait la distinction entre la croyance et ce qui en découle. Et c’est ce qui découle de la croyance qui peut être aménagé.
Henri Pena Ruiz
Je me permets d’intervenir très brièvement sur cette question, parce qu’elle est importante. Dans un contexte juridique très particulier, qu’a souligné Caroline, la République traite également toutes les croyances. Cela ne veut pas dire qu’elle se prononce sur le contenu des croyances. Là où je vous proposerais une formule que j’ai toujours défendue c’est que ce qui est respectable, ce n’est pas les croyances, c’est la liberté de croire. Du respect de la liberté de croire ne découle pas le respect du contenu des croyances.
Donc, l’État n’est pas neutre, dans le sens où il renverrait dos à dos le raciste et l’antiraciste. Mais il est neutre au sens où il ne se prononce pas en faveur d’une conception de la vie bonne, ou contre une autre conception. Voilà ce qu’est la neutralité laïque. Elle ne veut pas dire que l’État est vide de toute valeur.
Maintenant, la neutralité de l’État, vous avez raison. L’État n’est pas neutre au sens où il serait les bras croisés. J’ai souvent coutume de dire que Marianne, l’allégorie de la République n’a comme seul symbole sur la tête que le bonnet de l’esclave affranchi. Le bonnet phrygien de Marianne C’est le symbole de l’émancipation. Les esclaves Phrygiens affranchis portaient le bonnet phrygien. Donc, Marianne n’arbitre pas les croyances, mais elle arbitre les actes. C’est très important. Si un témoin de Jéhovah me dit : « Il ne faut pas mélanger les sangs, parce que le Lévitique a dit on ne mélange pas les sangs ». Soit, mais attention. C’est une croyance. Vous avez le droit de l’avoir, mais pas celui de la mettre en oeuvre. Parce que si vous la mettez en oeuvre, vous tuez des gens. Homicide involontaire. Refuser la transfusion sanguine à un enfant c’est le conduire àla mort. Donc, la république dira, et ça a été statué, ça a été tranché : si un enfant requiert une transfusion sanguine pour être sauvé, il aura cette transfusion sanguine, même si les parents s’y opposent. Cela veut dire que l’enfant a le statut de personne juridique. Il n’est pas propriété des parents. Il ne leur appartient pas.
Donc, l’État n’est pas neutre, dans le sens où il renverrait dos à dos le raciste et l’antiraciste. Mais il est neutre au sens où il ne se prononce pas en faveur d’une conception de la vie bonne, ou contre une autre conception. Voilà ce qu’est la neutralité laïque. Elle ne veut pas dire que l’État est vide de toute valeur. Et je rejoins ce que disait Caroline. Je suis d’accord avec Caroline quand elle dit : « Quand je défends des lois, je défends des valeurs. » Par exemple, la loi qui interdit toute discrimination entre l’homme et la femme est tributaire d’une valeur. Une valeur, c’est ce qui vaut. Or ce qui vaut, c’est l’égalité des sexes. Et donc, à partir de cela, on construit une loi qui incarne, qui donne chair à la valeur.
Dernière chose, la viande halal. J’ai été excédé par la façon dont Marine Le Pen… et je voudrais dire, Monsieur Weinstock, ça ne me dérange pas du tout de parler d’elle… Madame Le Pen a essayé d’amener la campagne électorale sur le terrain de la sécurité. Faire peur. La droite cléricale gouverne toujours comme ça. Elle fait peur et, après… c’est moi qui arrive avec mes gros biceps, je vais vous sauver. Les gens qui gouvernent à la peur, chez moi, ils provoquent la réaction diamétralement opposée, je pense systématiquement le contraire de ce qu’ils disent. C’est une maxime que je me suis imposée à moi-même.
Alors, Marine Le Pen a voulu nous faire peur avec tout le monde. Comme Nicolas Sarkosy a voulu nous faire peur avec les jeunes, les Roms, les musulmans, les immigrés, les jeunes des banlieues qu’on va karcheriser. Cet homme n’a cessé de dresser la population contre autrui qui était criminel. Donc, Marine Le Pen a voulu nous faire peur avec la viande halal. Il y en a assez de ces histoires là. Les croyants qui veulent manger de la viande halal on le droit de le faire. Mais ils n’ont pas le droit de demander à la République de leur servir de la viande halal dans les cantines scolaires. Point barre.
Qu’est-ce que la république doit faire : servir aux enfants des menus diététiques, équilibrés quant au nombre de calories. Point barre. Parce que c’est une exigence incontestable de santé. Il faut une verdure, une viande, un machin, un truc, pour un repas équilibré. Mais il faut arrêter avec ces religieux qui n’arrêtent pas de demander quelque chose à la République. On n’est pas un supermarché. S’ils veulent de la viande halal, qu’ils préparent un panier repas pour leurs enfants et qu’ils le leur donnent. Libre à eux. Mais qu’on arrête d’en faire un problème. Surtout qu’en France, les neuf dixièmes de la population immigrée ne posent aucun problème à la république. Et c’est là que Marine Le Pen nous ennuie profondément. Mais qu’en même temps, elle fait beaucoup de mal.
Elle agite deux prières de rue. Il y a trois rues en France où il y a eu des prières de rue. Ça devient : on est envahi, c’est l’occupation. Ça ce n’est pas la laïcité, c’est le contraire de la laïcité. C’est presque du fascisme.
Donc, je veux dire que sur la viande halal, je ne pense rien de particulier. Les personnes qui sont croyantes et veulent en manger on le droit de le faire. Il y a un seuil problème, qu’il ne faut pas laisser de côté : les conditions d’abattage des animaux. On a posé des règles. Même si on mange de la viande animale, il ne faut pas ajouter la cruauté à cela. Et donc, le fait d’assoupir l’animal avant de l’égorger devrait être une donnée qu’il faudrait mettre à l’étude. Si on dit ça à la communauté juive et à la communauté musulmane, cela veut dire : vous avez le droit d’égorger comme vous voulez, mais la non-souffrance de l’animal est une donnée importante et vous devez la prendre en compte. Et vous pouvez évoluer. Comme on le disait tout à l’heure, les us et coutumes, ça évolue.
Une dernière chose, si vous le permettez. Ce qui pose problème à la laïcité ce n’est pas l’islam. C’est l’islamisme. Soyons clairs, ne retombons pas dans la logique d’opposition des civilisations deSamuel Huntington qui prétend criminaliser une religion et dans l’amnésie totale des crimes de la religion cléricale-catholique pendant quinze siècles de domination cléricale, en prétendant que cette religion aurait secrété spontanément les droits de l’homme etc. Il faut rompre avec ça. Parce que les trois religions sont capables d’engendrer l’horreur lorsqu’elles s’emparent du pouvoir politique. Et il n’y en a pas une pour relever l’autre. Donc, l’islam ne doit pas être plus maltraité que le catholicisme qui a quand même inventé les bûchers de l’inquisition, les croisades, l’index des livres interdits et la notion de peuple déicide. C’est quand même un bilan qui n’est pas très flatteur pour l’Occident judéo-chrétien.
QLouise Mailloux Monsieur Weinstock, vous dites que vous voyagez beaucoup. Le 8 mai 2009, vous étiez conférencier à l’Université de Berkeley, en Californie, et votre conférence portait sur l’excision. Parce qu’il y a eu des cas d’excision aux États-Unis où les médecins se demandaient quoi faire avec ça. L’Académie américaine de pédiatrie se questionnait. Dans ce cadre là, vous avez pris la parole. Je vais citer en partie votre conférence, en traduisant rapidement. Vous dites : There was an even more controversial case in the United States, I think, in Oregon, a few years ago, where a Somali community whose girls were being subjected to a rather amateurish form of female circumcision. The leader of the community told the doctors in one of the state hospitals: « Look, we have to find a way of dealing with this. » Et vous dites. Outright banning is not going to work because the practice is going to be driven underground. Exactement ce que vous avez dit tout à l’heure, interdire franchement, je traduis, ne servirait à rien, puisqu’on continuerait à le faire sous le radar. C’était, ici, votre argument. Vous aviez ici l’occasion de vous opposer à une pratique que vous qualifiez tout à l’heure de barbare. Vous avez dit qu’il n’était pas question d’interdire la chose. Je continue. Maybe we can find a way within the hospital, where we can perform a kind of ritual marking that wouldn’t be mutilation, that would be a ritual circumcision from the point of view of the culture but that wouldn’t harm women. Bref, si on pouvait convenir avec les médecins et l’hôpital d’une intervention, d’une excision symbolique qui ne serait pas une mutilation mais qui aurait aux yeux de la culture le même sens, tout en étant moins grave pour les femmes. Et vous continuez en indiquant que ça pourrait être une proposition intéressante, même s’il est difficile d’en admettre l’idée.
Vous parliez tout à l’heure de l’enfant qui n’est pas autonome, et que l’État doit donc légiférer pour protéger ses droits. Vous aviez ici une belle occasion de le faire et vous avez défendu une position contraire. Je termine. À partir de la 31e minute, vous avez parlé de la commission Boyd. Tout le monde se souvient que le Rapport Boyd a recommandé l’introduction de tribunaux de la charia en Ontario concernant les litiges familiaux. Le rapport de la commission qui a été publié et débattu pendant plusieurs semaines a été littéralement jeté aux ordures par le premier ministre ontarien Dalton McGuinty . Votre commentaire ?« Which seems to me a great shame » Ce qui est pour moi une grande honte. Vous étiez Canadien. Vous avez dit cela aux États-Unis. Peut-être que vous ne le diriez pas ici, à Montréal. Ma question : comment pouvez-vous dire que l’excision est une pratique barbare, alors que, à Berkeley, vous défendiez une position contraire, vous étiez incapable de vous y opposer et comment osez-vous parler d’un État qui est « tyrannique » comme Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique quand vous vous désolez du fait que les tribunaux de la charia n’aient pas été mis en place en Ontario ?
Daniel Weinstock
Ça va me prendre un peu de temps pour réagir. Dans votre citation de ma conférence à Berkeley, vous avez dit quelque chose qui est tout à fait vrai. J’ai dit : There was a controversial case in, I think, Oregon.
Alors, moi, ce que je fais dans cet exposé, je relate les débats qui ont eu lieu. Vous l’avez vu dans ma présentation, il m’arrive de prendre la voix d’un interlocuteur dont je tente de représenter la position. Il est vrai qu’il y a eu en Orégon un débat qui a été très grave. Des médecins se sont trouvés devant un flux migratoire somalien. Des fillettes avaient été littéralement mutilées dans des cuisines, de manière absolument horrible. Et ils se sont poses la question : que devons-nous faire devant cela en tant qu’officiers de la santé ? Devons-nous continuer de traiter ces filles qui se retrouvent avec des cas de choc septique à cause de la manière dont elles ont été traitées, ou devons-nous essayer de faire quelque chose du point de vue de la limitation des méfaits, ce qui, du point de vue de la santé publique, se fait souvent. Quand on a des piqueries qui permettent aux héroïnomanes de se piquer avec des seringues stériles ce n’est pas qu’on est en faveur de la toxicomanie, ce n’est pas parce qu’on est en faveur du fait que les gens se droguent. C’est parce que d’un point de vue de la santé publique, on se demande comment faire pour réduire au minimum les méfaits.
Donc, moi, j’ai narré ce débat et j’ai dit que d’un point de vue conséquentialiste – je ne suis pas un conséquentialiste estimant ce point de vue incomplet – donc, je n’ai jamais défendu l’excision, je n’ai jamais défendu une pratique particulière. Ce que j’ai dit, c’est qu’il y avait eu un débat qui me semble très grave, fondamental, par rapport auquel je n’aurais pas voulu être à la place de ces médecins qui se sont demandés que faisons-nous devant cette situation. Nous savons très bien que si nous renvoyons ces gens à la maison, ils vont continuer à le faire. Donc, que faisons-nous ? La proposition, je la présente au public qui ne la connaît pas. Elle a été suggérée par certains médecins et, encore une fois, j’ai narré cette proposition plutôt que de la valider.
Elle consistait à dire la chose suivante : nous faisons la circoncision des garçons juifs et musulmans. Est-ce que nous pourrions – ici j’adopte la voix des personnes dont j’essaie de représenter le point de vue – est-ce que nous pourrions proposer à cette communauté de faire quelque chose qui aurait pour impact de n’imposer aux fillettes qu’une marque physique qui ne serait… et la barre qu’ils se sont fixés, c’est pas plus grave sur le plan anatomique et quant à la capacité de jouir sexuellement que ce que nous faisons aux garçons juifs et musulmans lorsqu’on leur fait la circoncision rituelle. Pourrions-nous proposer cela à la communauté musulmane pour éviter le pire. Pour éviter ce qu’elles sont en train de faire. La question est grave et importante. Je ne crois pas que cette proposition de certains médecins puisse être tout simplement évacuée. Il y a un choix tragique à faire. Soit on essaie d’interdire complètement, avec le risque, comme dans le cas de l’héroïne… que l’on va se retrouver avec des pratiques…
Auditoire
… ça n’a rien à voir !
Daniel Weinstock
Sur le rapport Boyd, je me demande combien de personnes ici l’ont lu. Quelques personnes. Le rapport Boyd fait un pari qui est structurellement similaire à celui de ces médecins dont j’ai voulu narrer les positions. Il consiste à dire : si nous interdisons complètement, nous risquons de faire en sorte que certaines pratiques soient tout simplement reléguées dans des sous-sols, dans des cuisines de communautés – est-ce que je peux finir ?!? Si on ne me laisse pas finir, je vais, tout simplement, partir – Le rapport Boyd dit : si nous amenons ces pratiques au-dessus du radar, mais que nous leur imposons des conditions, en particulier des conditions de conformité aux valeurs de la Charte, est-ce que nous ne ferions pas quelque chose qui, du point de vue des femmes, serait mieux qu’une interdiction que nous n’aurons pas les moyens, techniquement, d’imposer ?
Henri Pena-Ruiz
Si je me permets d’intervenir, c’est que Monsieur Weinstock, vous m’avez interpelé sur le fait que j’avais mis en avant l’exemple de l’excision et que vous n’avez pas bien compris, semble-t-il le sens que je donnais à cette mise en avant, ce n’était pas du tout pour vous attribuer le fait d’avaliser l’excision c’était pour dire qu’il faut quelques fois légiférer.
Et moi, je considère que votre argument qui consiste à dire qu’il vaut mieux autoriser une pratique en milieu hospitalier avec un accommodement raisonnable quant à la mutilation en la réduisant de telle façon qu’elle soit contrôlée, plutôt que de la laisser faire en dessous des radars, je trouve cet argument hallucinant.
Maintenant, je voudrais vous dire que dans l’excision, il y a un tout ou rien. Car vous savez sur quoi repose dans les tribus malienne et sénégalaise l’excision. Sur une représentation de l’univers selon laquelle il y a deux principes : le masculin, qui est la proéminence phallique, et le féminin, qui est la cavité vaginale. Et que, par conséquent, dans cette croyance religieuse, la protubérance clitoridienne serait une anomalie qu’il conviendrait d’ôter pour restituer la femme à sa pure féminité vaginale. Mais sitôt que l’on touche au clitoris, que ce soit en faisant pénétrer l’instrument de trois millimètres ou de dix millimètres, on mutile. Et moi, je considère que votre argument qui consiste à dire qu’il vaut mieux autoriser une pratique en milieu hospitalier avec un accommodement raisonnable quant à la mutilation en la réduisant de telle façon qu’elle soit contrôlée, plutôt que de la laisser faire en dessous des radars, je trouve cet argument hallucinant.
Pourquoi ? Parce que ça veut dire que quand un homme bat une femme dans l’intimité de sa chambre familiale il ne faut pas l’interdire. Et qu’il vaudrait mieux qu’il la batte dans des conditions qui soient un peu plus acceptables. Je veux dire que l’on ne peut pas composer avec la barbarie. On ne peut pas faire d’accommodement raisonnable avec la barbarie. Voilà ce que je dis. C’est un tout ou rien. Ou on le refuse. Ou on l’accepte. Mais il n’y a pas de moyen terme. Une excision n’est pas plus acceptable sous prétexte qu’elle se ferait en milieu hospitalier avec des conditions d’asepsie qui éviteraient la septicémie qu’elle ne l’est lorsqu’elle est faite effectivement à la va-vite dans une cuisine. C’est abject dans les deux cas. Et ce n’est pas parce qu’il y a des degrés dans l’abject que l’on va faire un accommodement raisonnable pour produire une conception plus humaine, en quelque sorte, de l’excision. Il faut refuser cette idée que l’homme puisse avoir un pouvoir sur le corps de la femme. Quelque soit ce pouvoir, il est inacceptable, incompatible avec la reconnaissance de l’intégrité physique de la personne et incompatible avec l’égalité des sexes. À ce double titre, on ne compose pas avec une pratique barbare.
Louise Mailloux
Pour dire comment toute l’histoire s’est terminéeAyaan Hirsi Ali Somalienne, députée néerlandaise, militante s’est battue pour empêcher cette excision symbolique et grâce à elle, l’Académie américaine de pédiatrie a renoncé à l’excision. La vidéo dont j’ai cité des extraits est disponible sur Internet.
Daniel Weinstock
Elle est tout à fait disponible et je vous laisse juger, de bonne foi. On peut me prêter le fait d’avoir avalisé ces arguments ou de les avoir tout simplement narrés. Ce sont des débats qui ont eu lieu. La responsabilité que l’on m’a confiée à cette conférence était de faire état de certains débats. J’en ai fait état. Je ne pense pas que l’on puisse de bonne foi, soit en ce qui concerne le rapport Boyd, soit par rapport à cela dire que j’ai avalisé ces positions. Je suis entièrement d’accord avec le point de vue développé par le professeur Pena Ruiz. En même temps, j’ai tenté de restituer la situation des médecins qui se trouvent face à ce problème.
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