Dagmar Gontard-Zelinkova
2013-12-10
À lire les propos incendiaires qui commencèrent à se déverser, dans le reste du Canada, sur le projet de la Charte des valeurs québécoises, l’on pouvait s’étonner, certes, de leur véhémence. Cette Charte, poussée de l’avant par des péquistes, minoritaires mais couvant néanmoins des visées sécessionnistes, dégageait des relents de soufre pour les non-Québécois. Ils se mirent à croire qu’il y avait, dans ce projet, davantage de manigances que de la bonne foi. Notons aussi que le jargon médiatique n’a pas arrangé les choses : à un certain moment, un journaliste a dû signaler la controverse autour de la Charte et voilà que l’épithète fut trouvé. Dorénavant on ne dissocierait plus la Charte de la controverse. L’information sur la Charte, reprise en boucle sur les ondes, à la télé et dans les journaux, se gravera, dans l’esprit des Canadiens, sous ces deux mots, étroitement liés : Charte controversée.
Ainsi soit-il pour le reste du Canada. Ces réactions hostiles on pourrait les comprendre, à la rigueur. Mais que dire de ces débats enflammés où s’affrontent les laïcs, les humanistes, les athées, les libres penseurs, les juristes, les religieux et autres, à l’intérieur du Québec ? Récemment, la discorde a provoqué un schisme au sein des féministes québécoises. Mais d’autres associations voient aussi leurs membres s’empoigner âprement. Autour de quoi s’articulent ces joutes ? Ne serait-ce pas autour des termes mal assimilés ? Voyons.
Liberté, certes, s’impose d’emblée. Ce terme chéri qui nous vient de l’esprit des Lumières et qui inspire nos sociétés démocratiques, cette liberté est menacée par la Charte, clament ses opposants. N’est-on pas libre de porter le vêtement que l’on veut ? poursuivent-ils. Un état qui dicterait aux gens comment s’habiller serait un état totalitaire. Une dictature ! clament-ils du sommet de leur indignation.
Laïcité s’en voit malmenée, à son tour : une laïcité qui empêcherait les gens de porter des signes religieux se contredirait, clament les détracteurs de la Charte. Et de poursuive : au lieu de garantir la liberté de religion, cette Charte ferait juste le contraire : elle enlèverait la religion aux gens.
Vient ensuite la neutralité de l’état. Hélas, là non plus on n’arrive pas à s’entendre. Les détracteurs de la Charte s’accordent pour dire qu’un état laïque doit être neutre mais, selon eux, cette neutralité ne s’étend pas à ses agents.
Pour couronner le tout, il y a ceux qui lancent le pavé dans la mare : cette Charte est discriminatoire ! Essayez alors de poser la question : « Elle discrimine envers qui ? » et la réponse fusera : « Envers les musulmans ! »
Et si nous y regardions d’un peu plus près ? La liberté est un acquis précieux, certes, mais elle n’est pas absolue. Qui est-ce qui a dit : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ? » Prenons un exemple : une femme qui a fui un pays où le port du foulard islamique est obligatoire, qui vit maintenant au Canada et qui vient chercher son passeport à une agence gouvernementale. Imaginons que la préposée au service est enveloppée dans un tchador. C’est son droit, elle est libre de le faire. Mais qu’en est-il pour l’autre, qui subit le choc ? La vue de ce vêtement honni ramène à sa mémoire des semaines de séquestration, des insultes de ses frères, des coups frappés par son père, le mépris témoigné par sa propre mère envers elle, qui, fille à l’esprit rebelle, refusait de se soumettre, réclamait le droit à être éduquée et finit par s’enfuir pour échapper à un mariage arrangé. Cette femme, au Canada maintenant, n’a-t-elle pas les mêmes droits, que l’autre ? Dans ce cas précis, ce serait de trouver un environnement neutre, dépourvu de tout signe religieux. Si le droit à la liberté de la première est assuré, le droit à la liberté de l’autre est bafoué. Autrement dit : le droit de celle qui revendique le port du voile supplante le droit de celle qui le refuse. Voyons – dans toute société démocratique, la restriction de certaines libertés n’est-elle pas une garantie sine qua non de l’exercice de la liberté par l’ensemble de ses citoyens ?
Quant à la laïcité, enlève-t-elle aux gens le droit à pratiquer la religion de leur choix ?
À mon sens non. Les gens sont libres de prier, autant qu’ils veulent, dans les temples ou chez eux.
Quant à la neutralité de l’état, s’arrête-t-elle à l’environnement physique des lieux en faisant l’abstraction de l’aspect de ses agents ? Voyons : les agents d’une compagnie aérienne ne portent-ils pas les signes distinctifs de la compagnie qui les emploie ? Il en va de même pour ceux et celles qui travaillent chez MacDonald, etc. Or, comment un état pourrait-il être neutre si ses agents arboraient, à leur guise, des signes religieux ?
Vient enfin la prétendue discrimination envers les musulmans. Le temps de faire une pause, et réfléchir. Essayons de replacer la Charte québécoise dans le contexte historique de la province. On s’accordera probablement pour dire que le Québec avait été, de toutes les provinces canadiennes, celle qui avait été la plus étouffée par une religion organisée. Vinrent les années soixante et une évolution se produisit. Elle se passa sans heurts, sans tueries. Les religieux apprirent à remiser leurs soutanes et leurs cornets au placard. Personne ne s’en est offusqué, les choses se passèrent paisiblement. Le Québec fit sa mutation, on lui a donné le nom de « révolution tranquille. »
Vinrent les années 70 et 80, et dans leur sillage arriva le multiculturalisme. Et les accommodements. Qu’on voulait raisonnables, accommodements de bon sens. Leur nombre alla en croissant, de raisonnables ils devinrent de plus en plus déraisonnables pour finir par être accommodements religieux, tout simplement. Alors, les Québécois sont-ils intolérants ? Ils avaient réussi à chasser une religion, la leur, mais voilà que, de plus en plus, on accommodait celle d’ailleurs.
Et nous y voilà : la Charte serait-elle discriminatoire envers les musulmans ? La réponse est évidemment non car elle éliminerait TOUS les signes religieux. Cela étant dit, admettons que la goutte qui a fait déborder le vase, c’était le voile !
Ah, ce voile ! Il n’est pas propre à la province du Québec, loin de là. De part et d’autre du globe, le voile suscite des débats passionnés. Le port du voile relève-t-il d’une obligation religieuse ? Bien des intellectuels islamiques nous disent que non. L’un d’eux, et non des moindres, fut le cheikh Tantawi, grand mufti d’Égypte et recteur de l’Université Al-Azhar. En 2009 il lança une campagne contre le voile. Il alla même plus loin en condamnant la mutilation génitale des femmes. Il affirmait que ces pratiques relevaient de la tradition et non point d’une obligation religieuse. Hélas, sous la pression de la part des intégristes, il a dû réviser ses propos.
Les intégristes ! Arrêtons nous-y un instant. L’intégrisme n’est pas propre à l’Islam. Comme l’a fait récemment remarqué Madame Fatima Houda-Pepin, il est aussi présent dans les éléments ultra-droitiers des religions chrétienne et juive. Le Tea Party aux États-Unis et le Hassidisme en Israël en sont des exemples éloquents. Ayant dit cela, reconnaissons tout de même que ni l’un ni l’autre n’arrivent à la cheville de l’intégrisme islamique. La stratégie de celui-ci est double. C’est d’une part la violence et la terreur et, d’autre part, une pression progressive poussant les autorités vers une spirale infinie des concessions. Et c’est là l’enjeu du voile, il n’est que la pointe d’un iceberg. Viennent dans son sillage les revendications de la non-mixité, de l’exemption de l’éducation physique pour les filles, de l’obtention des heures spéciales pour les femmes dans les piscines, de l’obtention des salles de prières et tant d’autres.
C’est dans ce contexte qu’il faut voir le rôle du foulard : ce n’est pas un innocent morceau de tissu, c’est l’étendard d’une idéologie totalitaire – l’islamisme.
Aux yeux des intégristes islamiques, le foulard est un outil précieux car il permet de marquer les territoires acquis. Là où le foulard paraît, les islamistes sont chez eux.
Le travail de conquête est fait par les femmes. Le titre du livre de Yolande Geadah le résume en ces mots : « Femmes voilées, intégrismes démasqués. »
Ici, je ne puis m’empêcher une digression : je vois une similitude entre le foulard des pionniers communistes et le foulard des femmes musulmanes. L’image me ramène en arrière, au mitan du siècle passé. L’Europe, à peine sortie du traumatisme de la guerre, se morcelait. Les pays de l’Est européen tombaient, l’un après l’autre, sous la coupe soviétique. Le terrain avait été préparé auparavant, alors que les résistants au nazisme prenaient, au temps de la guerre, des directions opposées – il y en avaient qui partaient pour Moscou, d’autres pour Londres. Les balises déterminées de part et d’autre allaient mener tout naturellement à la création de deux blocs opposés, qu’un beau jour l’on finit par séparer par le rideau de fer. D’une part, l’avenir glorieux de l’humanité communiste et, de l’autre, l’Occident décadent.
C’est dans le premier que se situe l’histoire d’une adolescente. Trop jeune pour comprendre les tabous qui divisaient sa propre famille au sujet des Juifs pendant la guerre, elle ne comprenait pas très bien non plus pourquoi les membres de sa famille s’affrontaient en des débats sur la construction du socialisme. Au fil du temps, ces débats s’estompèrent pour être remplacés par des chuchotements. En effet, les adultes s’abstenaient, peu à peu, de parler aux enfants alors que ceux-ci gravitaient, de plus en plus, autour des maisons de pionniers. On y dansait, on y apprenait des chants révolutionnaires, bref, on s’y amusait. Et l’on s’y imprégnait, aussi, des exemples des pionniers soviétiques qui, à l’instar du plus grand héros, Pavlik Morozov, dénonçaient leur parents réactionnaires aux autorités du pays.
Notre jeune fille, portée par l’élan, finit par créer l’organisation de pionniers dans son école. Et comme, de par le trait de sa personnalité, elle était une battante, elle se mit à l’œuvre avec un bel enthousiasme. Le but premier : tous les écoliers devaient se procurer le foulard rouge pour le nouer autour de leur cou. Elle, la cheftaine, allait s’en assurer en faisant des inspections dans les classes. Mais elle ne s’arrêta pas là ; elle se lança dans l’éducation idéologique de ses condisciples. Elle élaborait des reportages sur la grandeur du généralissime Staline, sur le rôle capital que l’Armée rouge avait joué dans la libération du monde du nazisme, sur l’importance du Parti communiste qui s’est mis à diriger son pays à partir de 1948, et bien d’autres sujets encore qui devaient compléter la maturité idéologique de ses condisciples. Dès qu’un de ses reportages était prêt, les cours devaient s’arrêter pour qu’elle puisse propager, à travers les haut-parleurs de l’école, ces instructions indispensables à la création d’une jeunesse communiste. Aucun enseignant n’aurait osé s’opposer à ces interruptions, cela aurait été vu comme un acte réactionnaire. Par ailleurs, la directrice de l’école, une communiste pure laine, ne faisait qu’encourager la jeune fille dans son activisme.
Cet activisme était apprécié par les membres du Parti et, un beau jour, elle se vit récompensée par l’envoi dans un camp international. Cela faisait partie de la stratégie : on invitait les enfants de l’autre côté du Rideau à venir passer quelques semaines au paradis communiste. Les pionniers d’élite allaient éclairer les invités sur les avantages du communisme. Notre jeune fille s’est donc retrouvée en compagnie d’une trentaine de jeunes Belges. Et là, l’imprévu se produisit : au lieu de rallier les Occidentaux à la cause du communisme, c’est elle qui fut contaminée par leur virus. Et ce fut le début d’un pénible réveil. Au fil des ans, elle se trouva de plus en plus en porte-à-faux avec la doctrine du Parti et finit par être déchue de sa citoyenneté.
Certes, l’histoire ne s’arrête pas là, mais ce qui suit n’a pas de lien avec le sujet traité. Ce que je veux dire, tout simplement, c’est que je ne suis pas fière de mon passé. Mais il a un côté positif : il me permet de comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Tout comme du temps du communisme, nous sommes aux prises avec une idéologie totalitaire très dangereuse. Alors que les communistes se servaient des enfants pour avancer leur agenda, les islamistes d’aujourd’hui font faire le boulot par les femmes.
L’histoire se répète. Il y a eu, du temps du communisme, des voix courageuses qui osaient s’opposer. On les faisait taire à coups de procès politiques, ou encore par l’envoi au goulag, si ce n’était pas, tout simplement, l’élimination physique. De nos jours, les islamistes utilisent les mêmes méthodes – intimidations, assassinats. Aujourd’hui, tout comme jadis, des voix courageuses s’élèvent, partout dans le monde. Les musulmans éclairés joignent leurs voix aux non-musulmans pour lutter contre l’islamisme. Chez nous, au Canada, en novembre dernier, Raheel Raza et Salim Mansur lancèrent un plaidoyer vers l’Occident. « L’Occident doit prendre au sérieux la guerre que les islamistes déclarèrent aux infidèles, aux sionistes, aux Israéliens et aux musulmans qui s’opposent à l’islamisme », nous disent ils.
Il est grand temps qu’on entende leurs voix. Il est temps, aussi, qu’on comprenne que la Charte n’est pas dirigée contre l’Islam. En ancrant solidement la laïcité, elle permettra de barrer la route à l’islamisme. Certains gouvernements préfèrent ne pas aborder la question de l’intégrisme, qu’il soit chrétien, judaïque ou encore islamique. Le gouvernement québécois a eu le courage de le faire. Au lieu de lui jeter l’opprobre, il y a lieu de lui tirer le chapeau.
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