Auteur de la note : Pierre Blanc
Nadia Khouri-Dagher, L’Islam moderne, des Musulmans contre
l’intégrisme, Hugo et compagnie, 254p., 2009
L’islam politique semble voler de succès
en succès : progressions électorales,
islamisation de l’espace public,
influence législative sont autant de
signes de ses victoires. Les partisans
de cet islam-là célèbrent cela comme
le retour d’un ordre éternel du religieux
que les Etats modernes seraient venus
détruire. De leur côté, certains observateurs se risquent parfois à
une lecture essentialiste, l’islam étant, selon eux, voué plus que
les autres religions à exercer sa tutelle sur les plans politique et
culturel.
Pourtant au coeur des sociétés arabes, la résistance s’organise et des
courants modernistes très actifs défendent la possibilité d’un refus
de la prévalence de la loi religieuse sur les affaires de la cité.
Mais une chose est de savoir vaguement cela, une autre est d’aller
au coeur des sociétés pour jauger la dynamique d’un courant «
séculariste » dont la palette est large puisqu’elle va de l’islam
réformateur à l’athéisme.
Mue par son désir de faire connaître la réalité de cet autre discours,
Nadia Khouri-Dagher, en très bonne observatrice qu’elle est, nous
fait descendre dans trois pays du Maghreb – Maroc, Algérie,
Tunisie – pour en évaluer la force. Elle nous fait rencontrer certains
protagonistes dans ces pays ainsi qu’à Paris, phare de la « nouvelle
Andalousie » où les tenants d’une certaine sécularisation dialoguent
entre eux et avec le monde.
Bien sûr, elle accorde une attention particulière aux intellectuels
engagés dans la production d’idées vouées à combattre
l’obscurantisme.
Habitants de la nouvelle Andalousie, ces
intellectuels offrent un
souffle de vie que nous restitue remarquablement l’auteur. Les
Tunisiens Abdelmajid Charfi, Mohamed Talbi, Youssef Sedik, les
Marocains Abdou Filali-Ansary, Mohamed Wazif, Mohamed Ayadi et
les Algériens Mohamed Arkoun et Soheib Bencheikh nous livrent
ainsi quelques-uns de leurs arguments forts qui rompent avec la
rhétorique traditionaliste voire intégriste. Parmi les voies qu’ils
proposent, ils appellent à privilégier l’esprit des textes sacrés plutôt
que la lettre, à procéder à une analyse historico-critique de
ces sources, à établir une laïcité intégrale, chacun mettant bien
entendu des nuances à cela.
Cependant Nadia Kouri-Dagher va plus loin : sachant que les
intellectuels sont très désarmés par rapport aux méthodes massives
des islamistes, elle va aussi à la rencontre de la société civile pour
y déceler le degré d’adoption des thèses modernistes.
Cette société civile attachée à la libération des esprits est
finalement très diverse dans ses expressions : associations de
femmes, journalistes, banquiers, etc., tous inventent les moyens de
bâtir des digues contre l’obscurantisme qui les ramènerait vers les
temps reculés de l’histoire (à supposer que la construction politique
tant souhaitée par les islamistes ait eu vraiment un jour les atours
qu’ils lui donnent).
Dans ce combat contre l’islamisme, les partisans d’une séparation de
la mosquée et de l’Etat s’engagent même sur le terrain médiatique
où il est difficile d’oeuvrer tant les moyens qu’utilise l’autre camp
sont massifs. Au Maroc, le journal Tel Quel prouve s’il était besoin
la réalité d’un lectorat moderniste que confirme le lancement de
Nichane en arabe.
Même si cette coalition des modernes paraît un peu fragile, d’aucuns
y voient les germes d’une révolution des esprits en marche, un
phénomène que résume bien Abdou Fiali-Ansary : « Ce mouvement
pour un islam moderne, c’est comme les fleurs au printemps : toutes
les fleurs sont en train aujourd’hui d’éclore en même temps, tous les
pays sont touchés... » Pour tous ceux qui ne veulent pas désespérer,
ce livre s’offre comme une bonne nouvelle !
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