Sur un marché de Rawalpindi, au Pakistan, le 17 décembre 2013.
Une étude publiée le 15 décembre 2013 par l’Institut pour la recherche sociale de l’Université du Michigan et intitulée Lieu de naissance du « printemps arabe » : valeurs et perceptions de l’opinion publique tunisienne permet de comparer l’approche sur le voile islamique dans ce pays et six autres pays à majorité musulmane : Arabie Saoudite, Égypte, Irak, Liban, Pakistan et Turquie.
Étonnamment, les Tunisiens sont les moins favorables au choix individuel dans le mariage après le Pakistan : seulement 26 % privilégient l’amour comme la base du mariage plutôt
que l’approbation des parents, alors que 30 % des Égyptiens et des
Irakiens sont dans ce cas, et plus de 47 % des Saoudiens, Turcs et
Libanais. À l’inverse, ils sont les plus favorables aux droits des femmes
de « s’habiller comme elles le souhaitent » : ils sont 56 % à
l’affirmer, contre 52 % en Turquie, 49 % au Liban, 47 % en Arabie
Saoudite, seulement 27 % en Irak, 22 % au Pakistan et 14 % en Égypte…
Comment une femme doit-elle s’habiller ?
Plus
précisément, plusieurs images de visages féminins ont été présentées
aux personnes interrogées, allant de la burqa afghane à la tête nue, en
passant par le niqab saoudien, le voile couvrant cheveux et oreilles ou
le voile découvrant légèrement les cheveux, avec la question : « comment
une femme doit-elle s’habiller en public ? »
« Sur
la base de ces constatations, il apparaît difficile de connecter le
style de la robe des femmes avec le niveau global de développement ou de
modernité d’un pays, écrivent les auteurs. Ainsi, l’Arabie saoudite, qui est
économiquement plus développé, est la plus conservatrice en termes de
style. Cette question reflète donc davantage les orientations d’un pays à
l’égard des valeurs libérales ». Ainsi, c’est au Liban, en Tunisie et
en Turquie, où la population est réputée moins conservatrice, que les
voiles préconisés sont les plus légers.
« Finalement, les “extrêmes” ne font pas recette », note de son côté le magazine Jeune Afrique , qui consacre un article à cette enquête. « Le voile intégral n’est pas à la mode, sauf au Pakistan et en Arabie Saoudite ».
La
question de la laïcité de l’État divise évidemment ces pays : 51 % des
Égyptiens, 69 % des Irakiens, 80 % des Libanais, 72 % des Tunisiens, et
76 % des Turcs (mais seulement 9 % des Pakistanais !) sont « fortement
d’accord ou d’accord » avec l’idée que leur pays serait « un meilleur
endroit si la religion et la politique étaient séparées ». Tous à une
écrasante majorité (autour de 90 %) expriment des « attitudes
favorables » envers le système politique démocratique.
Différentes conceptions de la démocratie
« Mais
aucune définition de la démocratie n’a été présentée aux enquêtés »,
précisent toutefois les auteurs, qui reconnaissent qu’il est « possible
que la définition opérationnelle de la démocratie varie selon les
répondants ». Pour certains, la démocratie doit s’accompagner d’un
gouvernement islamiste, pour d’autres de l’application de la charia,
pour d’autres encore d’un pouvoir fort de l’armée… Avec 59 % de réponses
favorables, l’Égypte est le seul pays dont la majorité de la population
se prononce pour un gouvernement islamiste.
Si le soutien à
l’application de la charia (la loi islamique) est très minoritaire au
Liban, en Tunisie et en Turquie (entre 10 % et 27 % des réponses), il
atteint 56 % en Égypte, 48 % en Irak, 68 % en Arabie Saoudite et même
74 % au Pakistan.
« Toutefois, lorsqu’on leur a demandé de choisir
entre deux visions d’un bon gouvernement – celui qui fait les lois
selon les souhaits de la population, ou celui qui met en œuvre la charia
– entre 73 % et 93 % des répondants en Égypte, Irak, au Liban, en
Tunisie et Turquie ont privilégié la première réponse », indique
l’enquête. Seuls les Pakistanais et les Saoudiens estiment
majoritairement qu’un bon gouvernement est celui qui applique la charia.
Quelle identité ?
Enfin,
les personnes enquêtées ont été questionnées sur leur identité. En
Tunisie, 31 % des sondés se considèrent comme Tunisien avant tout,
contre 59 % qui se considèrent comme musulmans avant tout.
« L’auto-identification religieuse des Tunisiens » est donc la plus
élevée du panel après celles des Pakistanais.
À l’inverse,
l’identité nationale est affirmée avec force (52 %) chez les Égyptiens
et même 57 % chez les Irakiens, et 60 % chez les Libanais, deux pays
pourtant déchirés par les tensions ou les conflits confessionnels. En
Turquie, seules 44 % des personnes interrogées font prévaloir leur
appartenance nationale comme source de leur identité contre 39 % qui
mettent en avant la religion.
Cette étude a été menée en Tunisie
entre mars et mai 2013, et dans les autres pays entre 2011 et 2013,
auprès de 21 143 personnes au total.
ANNE BÉNÉDICTE HOFFNER
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