Irshad Manji a écrit un best-seller aujourd'hui traduit en 15 langues (dont certaines versions sont téléchargeables gratuitement) qui fait beaucoup de bruit depuis septembre 2003, The Trouble with Islam (publié en français sous le titre Musulmane mais libre), dans lequel elle dresse la liste des révolutions que doit opérer l’islam sous peine de rester une religion opprimante, dont donner du pouvoir aux femmes, garantir le respect des minorités religieuses et encourager le débat d'idées. Quant à l’Occident, il doit cesser de se laisser endormir par l'idée du multiculturalisme.
"The Trouble with Islam : A Wake Up Call for Honesty and Change" est une lettre ouverte, la voix d’une musulmane en faveur de la réforme. Une lettre envoyée aux citoyen-nes du monde entier, musulman-es ou non. C’est à propos de ma communauté, de ma croyance, de la façon dont elle doit parvenir à accepter la pluralité des idées, des croyances, des peuples dans cet univers et aussi à propos de la façon dont les non-musulman-es ont un rôle central à jouer pour nous y aider.
Les thèmes que j’aborde sont :
- l’infériorité de traitement des femmes dans l’islam
- l’antisémitisme que tant de musulman-es embrassent sans retenue
- la persistance de l’esclavage dans des pays islamiques.
Chaque foi a ses littéralistes. Les chrétiens ont leurs évangélistes. Les juifs ont leurs ultra-orthodoxes. Même les bouddhistes ont leurs fondamentalistes. Mais ce que mon livre martèle, c’est que l’islam est la seule religion où le littéralisme est répandu. Lorsqu’il y a des abus, la plupart des musulman-es n’ont pas de clefs pour discuter, débattre ou réformer.
"Le problème avec l’islam" parle de ce silence, notre silence. Il montre aux musulman-es comment nous pouvons redécouvrir la tradition perdue de la pensée indépendante, l’"ijtihad"*, une notion propre à rendre l’islam compatible avec le 21e siècle. Cette opportunité est plus facile à saisir pour les musulman-es d’Occident, qui profitent de la liberté d’expression et peuvent ne pas craindre les représailles de l’État. Les musulman-es vivant dans le monde islamique doivent eux aussi connaître ce don de Dieu qu’est le droit de penser par soi-même.
Ma famille et moi sommes arrivées comme réfugiées d’Ouganda d’Idi Amin en 1972 à Vancouver. J’ai grandi en suivant deux écoles, l’école publique laïque et, plusieurs fois par semaine, l’école islamique (la madrassa). J’ai eu du mal à concilier le monde ouvert et tolérant de l’école publique avec celui, rigide et bigot, de la madrassa. Ma première question à la madrassa fut "pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas diriger les prières?" En grandissant, je n’ai pas cessé de poser des questions dérangeantes : "si le Coran a été révélé au Prophète comme un message de paix, comment se fait-il qu’il a commandé à son armée de tuer une tribu juive dans son ensemble?" Vous pouvez imaginer combien mes questions irritaient au plus haut point mon professeur qui passait son temps à maudire les femmes et les juifs! Je suis arrivée à l’impasse ultime quand j’ai demandé des preuves de la conspiration juive contre l’islam. Cette dernière question, posée à 14 ans, me conduisit à la porte.
À ce point, j’avais un choix à faire. Soit j’abandonnais ma foi musulmane et devenais une jeune américaine émancipée, soit je donnais à l’islam une seconde chance. J’ai donné à l’islam une autre chance, et puis une autre et une autre. Depuis 20 ans, je me documente sur l’islam. Mais je demeure une musulmane ambivalente, à cause de ce qui se passe sur le terrain, violations des droits humains, contre les femmes, contre les minorités, et tout cela au nom de Dieu. Les musulman-es libéraux disent que ce que je décris n’est pas le vrai islam. Mais ces musulmans doivent se rappeler que le Prophète a dit que cette religion était la manière dont nous nous conduisons les un-es envers les autres. Dans ce cas, si l’islam c’est la manière dont se comportent les musulman-es, nous devons faire face à la dure réalité. C’est ce pour quoi je me bats. C’est ce qui fait que je suis passionnée. Et ce qui me conduit à dire tout haut tout ce qui me cause de la peine avec l’islam.
Comme je le vois, le problème avec l’islam, c’est que nos vies sont trop courtes et que les mensonges que nous trouvons pour excuser cette dérive sont trop gros. Au début de mon livre, je dis que je suis une refuznik musulmane. Cela ne signifie pas que je refuse d’être musulmane, mais que je refuse de rejoindre une armée d’automates au nom de Dieu.
Je pose aux musulman-es d’Occident une question très simple : allons-nous rester spirituellement infantiles, conformistes ou allons-nous devenir mûr-es et citoyen-nes, défendant un pluralisme qui nous permettra de faire partie de ce monde à la première place?
Ma question aux non-musulman-es est tout aussi basique : aurez-vous peur d’être traités de racistes et d’islamophobes, ou allez-vous nous pousser, nous musulman-es, à prendre notre rôle au sérieux concernant cette religion?
Irshad Manji est une jeune Canadienne musulmane et lesbienne. Elle a été promue féministe du 21e siècle par Ms Magazine et l'une des 100 leaders de demain par Maclean’s. Après avoir produit et animé Queer Television, une émission traitant de la culture gaie et lesbienne sur les ondes de Citytv de Toronto, elle est aujourd'hui à la barre de Big Ideas, une émission de débat à TVOntario. Présidente de Verb TV, un canal qui encouragera les jeunes à devenir des citoyens globaux, elle est aussi en train de mettre sur pied un institut pour la libre pensée dans l'islam.
Par Irshad Manji via la revue ProChoix, n° 26-27, automne 2003 (exceptionnellement, la version intégrale de ce numéro intitulé "Islamophobes ou simplement laïques?" est accessible en ligne)
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*L’"ijtihad" est une incitation à recourir au raisonnement personnel, encouragée par Mahommet lui-même, dès lors qu’une recommandation n’est pas explicitée par le Coran ou les hadiths.
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