Point de bascule a traduit une chronique signée Ayan Hirsi Ali publiée dans le New York Times du 7 décembre 2007
« La
fornicatrice et le fornicateur, fouettez-les chacun de cent coups de
fouet. Et ne soyez point pris de pitié pour eux dans l’exécution de la
loi d’Allah - si vous croyez en Allah et au Jour dernier (Coran 24 :2)
«
Au cours des dernières semaines, trois épisodes largement médiatisés
nous ont fait voir la justice islamique en action d’une manière qui
devrait inciter les musulmans à s’indigner.
Une
femme de 20 ans de Qatif en Arabie saoudite a porté plainte après avoir
été séquestrée et violée à répétition par 7 hommes. Les juges ont
toutefois conclu que la victime elle-même était coupable du crime de
« fréquentations illégales ». Au moment de l’agression, elle se trouvait
dans une voiture avec un homme n’appartenant pas à sa famille
immédiate, ce qui est illégal en Arabie saoudite. Le mois dernier, elle a
été condamnée à 6 mois de prison et 200 coups de fouet.
Deux cents coups de fouet suffisent à tuer un homme fort. D’habitude
les femmes ne reçoivent pas plus de 30 coups à la fois ce qui signifie
que durant sept semaines, la « jeune femme de Qatif », comme on
l’appelle souvent dans les media, vivra dans la hantise de subir la
justice islamique. Lorsqu’elle sera relâchée, sa vie ne reviendra
certainement jamais à la normale. On rapporte que son frère a tenté de
la tuer parce que son « crime » aurait entaché l’honneur de la famille.
On a vu aussi la justice islamique en action au Soudan lorsque
l’institutrice britannique de 54 ans Gillian Gibbons a été condamnée à
15 jours de prison avant que le gouvernement ne la gracie cette semaine.
Elle aurait pu recevoir 40 coups de fouet. Lorsqu’elle a entrepris un
projet de lecture sur les oursons en peluche avec les enfants de sa
classe, elle a suggéré aux enfants de lui trouver un nom. Ils ont choisi
Mahomet et elle les a laissé faire, ce qui a été considéré comme un
blasphème.
Et il y a Taslima Nasrin, l’écrivaine bangladeshi de 45 ans qui a
courageusement défendu les droits des femmes dans le monde musulman.
Forcée de fuir le Bangladesh, elle vivait en Inde. Mais des groupes
islamistes indiens réclament son expulsion et l’un d’eux a offert une
récompense de 500 000 roupies pour sa tête. En août, elle a été agressée
par des militants islamistes à Hyderabad. Au cours des dernières
semaines elle a dû fuir Calcutta et puis le Rajasthan. Son visa expire
l’année prochaine et elle craint qu’elle ne sera plus autorisée à vivre
en Inde.
On dit souvent que l’islam a été
détourné par un petit groupe extrémiste de fondamentalistes radicaux et
que la vaste majorité des musulmans sont modérés. Mais où sont les modérés ?
Où sont les musulmans qui protestent contre les terribles injustices
que révèlent ces incidents ? Combien de musulmans sont prêts à se lever
debout et à dire, dans le cas de la jeune femme de Qatif, que cette
forme de justice est ép0uvantable, brutale et archaïque et que cela ne
devrait plus se faire – peu importe qui a dit que c’était la chose à
faire et depuis combien de temps il l’a dit.
Les organismes musulmans comme l’Organisation de la conférence
Islamique sont prompts à dénoncer tout ce qui porte atteinte à l’image
de l’islam. L’Organisation, qui représente 57 États islamiques, avait
envoyé 4 ambassadeurs rencontrer le chef de mon parti politique aux Pays
Bas pour lui demander de m’expulser du Parlement après que j’aie
accordé une entrevue à un journal en 2003 où j’observais que selon les
normes occidentales, certains comportements de Mahomet seraient
inconcevables.
Quelques années plus tard, des ambassadeurs musulmans au Danemark ont
protesté contre les caricatures de Mahomet et demandé que les auteurs
soient poursuivis. Mais alors que les incidents en Arabie saoudite, au
Soudan et en Inde ont fait bien plus pour ternir l’image de la justice
islamique qu’une douzaine de caricatures de Mahomet, l’Organisation de
la conférence islamique - qui s’était mobilisée pour protester contre
l’odieuse offense danoise à l’islam - est maintenant muette.
Je souhaiterais qu’il y ait davantage de musulmans modérés.
J’apprécierais, par exemple, des indications du fameux théologien
musulman modéré Tariq Ramadan. Mais en présence de souffrance réelle et
de véritable cruauté au nom de l’islam, nous entendons d’abord un
discours de déni de toutes ces organisations qui se disent pourtant
tellement préoccupées par l’image de l’islam. Nous entendons que la
violence ne fait pas partie du Coran, que l’islam signifie paix, qu’on a
affaire à une perversion par des extrémistes et à une campagne de
salissage et ainsi de suite. Mais les preuves s’accumulent.
La justice islamique est une institution fière à laquelle souscrivent
plus d’un milliard de personnes, du moins en théorie. C’est la loi du
pays au cœur du monde islamique. Jetez un coup d’œil au verset cité en
exergue. L’exhortation au croyant de ne démontrer aucune pitié est plus
impérieuse que celle de flageller les fornicateurs. C’est ce
commandement de préférer Allah à sa conscience et à sa compassion qui
emprisonne les musulmans dans une mentalité archaïque et extrémiste.
Si les musulmans modérés croient qu’on ne doit pas éprouver de
compassion pour la jeune femme de Qadif - alors qu’est-ce qui en fait
des modérés ?
Quand
son sens de la pitié et sa conscience entrent en conflit avec les
prescriptions d’Allah, le musulman « modéré » devrait choisir la
compassion. À moins que cela ne se généralise, l’islam modéré restera un
vœu pieux. »
Ayaan Hirsi Ali est une ex-député du
Parlement hollandais. Elle collabore maintenant au American Enterprise
Institute. Elle est l’auteur de « Infidèle ».
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