Gilles Toupin
Ainsi le PLQ de Philippe Couillard se rabat sur le crucifix non pas par ferveur religieuse comme nous aurions pu le penser, mais parce que cela, affirment candidement plusieurs élus libéraux, pourrait leur attirer des votes de plus aux prochaines élections. Je n’invente rien. Ce sont les élus libéraux qui le disent. Peu conscient en général de la portée de ses gestes – comme il nous le démontre jour après jour - le chef libéral n’a aucun scrupule, avec cette parodie de politique, à tirer la société québécoise vers le bas, l’entraînant dans un débat marginal et inutile, pour se sortir de la situation désespérée dans laquelle il se trouve. Il est même prêt à vouer le Québec à sa propre perte en nous enjoignant à renoncer à ce qui nous distingue et à nous fondre dans le grand tout anglo-saxon nord-américain. Cet homme n’a aucune fierté.
Il n’est pas le seul à perdre les pédales. Le quotidien La Presse s’est fait le défenseur des souverainistes qui militent pour une laïcité « inclusive » en publiant un grand article sur eux, ayant pris bien soin de ne pas dire un mot sur la conférence de presse de militantes de PDF-Q qui ont lancé un cri d’alarme contre l’intimidation subie par des femmes d’origine maghrébine ou moyen-orientale à la suite de leurs témoignages devant la commission parlementaire qui étudie le projet de loi 60.
Dépouiller la laïcité
Quoi qu’il en soit, on a vu les « inclusifs » faire feu de tout bois. Ce qu’André Pratte aurait bien aimer démontrer, c’est que la famille souverainiste a éclaté et que ceux qui posent la bombe au milieu du salon sont des gens de bon sens, sous-entendu « puisqu’ils pensent comme moi ».
Il ne voit pas, ou plutôt il feint d’ignorer, que les malencontreusement auto baptisés « inclusifs » n’ont rien compris à la laïcité puisque celle-ci, par définition, est on ne peut plus inclusive ; elle garantit l’égalité de tous les citoyens et, aussi, de toutes les religions. Ce que les « inclusifs » étalent au grand jour, c’est leur ignorance. Ils ne comprennent pas que fondamentalement et par définition la laïcité n’est pas antireligions pas plus qu’elle n’est proreligions ? Leur posture consiste ni plus ni moins à dépouiller la laïcité de son caractère d’universalité et de neutralité ; c’est pour cela qu’ils l’affublent de l’épithète « ouverte ».
Or la « laïcité ouverte » est un non-sens ; elle est l’antithèse de la laïcité puisqu’elle consiste à nier la liberté de conscience de ceux qui exigent que l’État ne leur fasse pas affront en se faisant le panneau-réclame de manifestations politico-religieuses liberticides. Mais pour en arriver à cette conscience citoyenne de la véritable laïcité, il aurait fallu que les « inclusifs » fassent preuve de logique et poussent leur réflexion, ne s’arrêtant pas en route à une prétendue innocence de l’ostentatoire ? Ce déni du signifiant des signes politico-religieux ostentatoires est une aberration à laquelle on ne s’attend pas lorsque l’on veut s’associer, comme l’a fait implicitement Jean Dorion, aux « sages » de la nation.
Une étourderie renversante
Les « inclusifs » nous entraînent ainsi avec une étourderie renversante dans la multiconfessonnalisation de l’espace civique (celui des institutions de l’État) et ils nous éloignent à mille lieux de la déconfessionnalisation qui marque l’histoire du Québec depuis déjà un certain temps. Ils exacerbent l’encouragement des particularismes ethniques et religieux et, en ce sens, ils vont à l’encontre du projet humaniste, celui de réunir des hommes et des femmes au-delà de leurs croyances et de leurs appartenances religieuses.
L’approche des « inclusifs » en est une de dépolitisation des problèmes. Avec des lunettes roses bonbons, ces hérauts du multiculturalisme anglo-saxons se voilent la face devant l’islamisme politique et ses stratégies d’entrisme. Ils se croient dans une fable alors qu’ils sont confrontés à des lobbys politico-religieux bien réels. Ils ne voient pas que « tout le monde il est pas beau et que tout le monde il est pas gentil » dans cette affaire. Ils ne savent pas qu’on ne peut édifier une société harmonieuse sur les bases de cette forme d’angélisme.
Accepter ce communautarisme débilitant et source de conflits au sein des institutions de l’État (en particulier lorsqu’il véhicule une conception inégalitaire de l’homme et de la femme), c’est faire de l’État le complice de ces idéologies obscurantistes, rétrogrades et inégalitaires ; c’est affaiblir la puissance régalienne de l’État. C’est un recul inacceptable de l’État de droit.
L’État responsable
Un État responsable, confronté au retour du religieux sur la scène internationale, n’a-t-il pas l’obligation de réfléchir à la situation et à apporter des solutions ? Ah oui c’est vrai j’oubliais ! « Le droit ne peut pas changer », nous disent ces apôtres de la bien-pensance et de l’« inclusion ». À ce compte-là, l’État ne pourrait jamais être garant de la paix sociale puisque son corpus de lois ne pourrait s’adapter aux changements sociaux.
Alors, affirmer haut et fort comme le font les « inclusifs » que le projet citoyen de la Charte - qui fait en sorte que le Québec se donne ses propres règles à propos de la place des dieux dans la cité - ira à contre-courant du projet indépendantiste est une vue de l’esprit qui ne résiste pas à l’analyse. Dépendre d’une constitution et d’une Charte des droits que l’on nous a imposées n’est certainement pas une condition de l’affirmation nationale des Québécois. Décider pour nous-mêmes et par nous-mêmes des règles de notre vivre-ensemble, selon une optique républicaine dégagée des lourdeurs du monarchisme à la canadian, est bien au contraire un geste souverain d’affirmation et de maturité, n’en déplaise à Philippe Couillard.
Et que l’on cesse de dire que la Charte repousse des communautés entières au Québec ; que l’on cesse cette démagogie de bas étage ! La laïcité de l’État, de par le caractère absolu de sa neutralité, est rassembleuse et respectueuse de chacun. Et elle ne doit pas souffrir de l’instrumentalisation-victimaire de groupes politico-religieux.
Sauver les meubles du multiculturalisme
Ceux qui s’élèvent avec tant de véhémence, avec si peu d’arguments, multipliant les déclarations fausses et non fondées, contre ce projet de société, ceux qui le diabolisent pour sauver les meubles du multiculturalisme à la Trudeau (un piège dans lequel même Lucien Bouchard est tombé), pour nous aliéner encore davantage au sein d’un Canada de plus en plus toxique pour la nation québécoise, ceux-là manifestent par leurs sorties irrationnelles un état de panique comparable à celui du camp du NON à la veille du référendum de 1995. Ils tentent, en jouant à la victime, de nous faire accepter l’inacceptable, soit l’intrusion pernicieuse par ses signes ostentatoires d’une idéologie mortifère qui se nourrit d’intolérance et de violence. Si c’est cela « l’inclusion », non merci !
Cette dramatisation des enjeux par les opposants à la Charte – tel cet article, publié sur trois colonnes et sur fond noir, de Lucien Bouchard dans La Presse d’avant-hier – est démesurée en regard de ce qui est proposé. Faut-il rappeler que ce qui fait litige dans ce débat ce n’est que l’obligation, pendant les heures de travail, faite aux représentants de l’État de s’abstenir de porter des signes OS-TEN-TA-TOI-RES dans le respect des croyances et des non-croyances de tous les citoyens ? Rien dans ce projet de charte ne s’oppose à la liberté de religion. Nous sommes ici dans la sphère du « raisonnable », du civisme et du vivre-ensemble. Il n’y a nulle violation de droits fondamentaux, nulle manifestation d’intolérance, seulement un appel au caractère universel des lois de l’État. Pas de quoi dramatiser. S’il y a un « régime d’interdits » dans cette proposition, c’est tout simplement celui de rejeter la politisation de l’espace civique afin d’assurer à tous la liberté de conscience. Car ne nous faisons pas d’illusions, les signes religieux ostentatoires ont bien plus à voir avec le politique qu’avec le religieux.
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