Sur le ton du reproche, j’entends souvent dire que la Charte des valeurs vise à ramener vers le PQ le vote du Québec «des régions» (on parle aussi, avec une condescendance accentuée, du «Québec profond»), comme s’il s’agissait d’une frange de la population souillant celui qui s’en approche, peuplée de débiles et d’analphabètes faciles à exciter par la xénophobie. Comme s’il s’agissait d’un électorat qu’un parti responsable ne devrait pas solliciter, tant les passions le traversant seraient coupables et répréhensibles.
J’exagère? Pas tant que ça. On nous en parle comme d’un électorat culturellement attardé et intellectuellement sous-développé, comme s’il se laissait définir seulement par sa caricature ou par ses plus mauvais représentants. L’enracinement culturel serait symptomatique d’un développement moral inférieur, alors que le cosmopolitisme «branché», lui, distinguerait une caste de citoyens «supérieurs», moralement admirables parce que délivrés du cadre national. L’enracinement historique serait une pathologie identitaire appelée à se dissoudre devant les progrès de la modernité radicale.
Je repose la question à propos du «Québec des régions» : s’agit-il d’une population marquée du sceau de l’infamie, dont on ne peut s’approcher qu’en se souillant, et dont on ne cherchera à obtenir le vote qu’en s’abaissant, qu’en perdant son âme? J’aimerais savoir : quels segments de la population peut-on solliciter sans honte, sans gêne, sans avoir l’impression de se rouler dans la fange? Et qui est habilité à décerner ce certificat de respectabilité médiatique, qui distingue les ploucs des évolués? Faudra-t-il désigner à l’avance, à propos des questions identitaires, les régions dont il est interdit de tenir compte dans la définition de l’intérêt public?
Faudra-t-il distribuer des «permis de voter» pour s’assurer que les citoyens appelés à choisir le gouvernement et à peser sur ses orientations ne trainent pas avec eux dans les urnes des idées en contradiction avec les exigences de la rectitude politique? J’entends déjà ici hurler au populisme, mais je note qu’on accuse aujourd’hui de populisme ceux qui n’affichent pas une forme de mépris spontanée à l’endroit du peuple et de la souveraineté populaire. Je note surtout que ceux qui dénoncent le «populisme» prennent rarement la peine de le définir, comme s’il suffisait de l’évoquer pour désigner à la vindicte médiatique ceux qui en sont accusés.
On nous dira peut-être qu’il s’agit simplement d’une question de «familiarité» avec le phénomène de la diversité. La question de la diversité est montréalaise, pourquoi tenir compte du point de vue des «régionaux»? Je note qu’on oublie que Montréal est loin d’être unanime dans son rejet de la Charte des valeurs et que c’est une étrange manière de voir les choses que de croire qu’il suffit de la côtoyer pour d’un coup chanter les vertus du multiculturalisme, comme si sa critique était inévitablement symptomatique d’une terrible ignorance
Mais la question mérite de se renverser. Quand on parle du développement régional, faudrait-il faire taire les Montréalais? Faut-il segmenter le territoire en régions étrangères les unes aux autres? Certains le proposent : ils ont la tentation de la «cité-État» montréalaise, même s’ils continuent d’avoir un avis sur ce qui se passe l’autre côté des ponts. Pourtant, dans une nation, la chose commune est par définition la chose de tous. Et l’avenir de l’identité québécoise ne saurait s’imaginer à partir d’une perspective exclusivement montréaliste.
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