Photo : Michaël Monnier - Le Devoir
Me Julie Latour estime que le Barreau s’est arrogé le droit de parole des avocats dans le débat sur la charte de la laïcité.
En appuyant le projet de loi 60, les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État entendent faire contrepoids aux soi-disant détenteurs du « monopole de la clarté et de la vérité juridiques », le Barreau du Québec et la Commission des droits de la personne.
« Dans le débat sur la charte de la laïcité, ils se sont approprié le droit de parole des avocats », déplore l’avocate Julie Latour. Mais, derrière l’unanimité de façade anti-charte, un grand nombre d’avocats appuient le projet de loi 60, affirme la porte-parole des Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État dans une entrevue avec Le Devoir. Plusieurs juges à la retraite, aujourd’hui avocats-conseils dans de grands bureaux, se refusent pour cette raison à appuyer publiquement le projet de législation du gouvernement péquiste, fait-elle remarquer.
En compagnie de l’ancienne juge à la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé et du professeur émérite de droit constitutionnel Henri Brun, l’ancienne bâtonnière du Barreau de Montréal invitera les élus à relativiser le mémoire truffé de « prétentions apparaissant présomptueuses » du Barreau du Québec.
Consensus social
Persuadés de l’importance sur les plans « politique et juridique » d’enchâsser le principe de la laïcité et de la neutralité religieuse de l’État dans la Charte des droits et libertés de la personne, le collectif de juristes appellera le gouvernement péquiste à forger un « consensus social » autour de la charte de la laïcité. Le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, doit se montrer disposé à restreindre la portée de l’interdiction du port de signes religieux pour les employés de l’État, si cela s’avère la clé pour faire adopter le projet de loi 60, est d’avis le regroupement de juristes procharte.
« S’il fallait faire un choix politique entre la réduction de la portée de cette mesure et l’abandon du projet, il faudrait sans hésiter choisir la première option », peut-on lire dans le mémoire des Juristes dont Le Devoir a obtenu copie.
Le gouvernement péquiste ne peut rater cette occasion d’enchâsser le principe juridique fondamental de la laïcité et de la neutralité religieuse de l’État dans la Charte des droits et libertés de la personne — et ainsi de l’ancrer dans la Constitution du Québec. « Cela constituerait déjà une avancé́e à nos yeux très appréciable », soulignera Me Latour à l’occasion de son témoignage vendredi avant-midi devant la commission parlementaire chargée de passer au peigne fin le projet de loi 60. « La législation proposée est également cruciale afin de maintenir l’intégrité du droit face aux normes religieuses, qui constitue la marque distinctive d’une société démocratique. »
En interdisant le port des signes religieux ostensibles seulement pour les personnes exerçant « au sens large » l’autorité au nom de l’État — y compris notamment les éducatrices des CPE, les enseignants des écoles maternelles, primaires et secondaires ainsi que le personnel des tribunaux —, M. Drainville « ne réduirait que de façon limitée l’intérêt du projet de loi 60 ».
Cela dit, l’interdiction du port des signes religieux fixée dans le projet de loi 60 est constitutionnelle, estime Mme Latour, se fiant à l’« évolution récente de la jurisprudence ».
« Instrument de prévision et de prévention »
Le caractère séculier du Québec a été reconnu par le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême du Canada, mais un vide législatif persiste quant à l’aménagement des modalités de l’obligation de neutralité religieuse de l’État québécois, expliquent les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État.
En s’assurant que l’État « soit et apparaisse » neutre religieusement — et ainsi représente tous les citoyens —, le projet de loi 60 doit « être vu comme un instrument de prévision et de prévention, et non simplement comme un remède [dans] une société qui se pluralise et se diversifie en accéléré, entre autres en matière religieuse ».
« Le principe de laïcité vise précisément l’égalité de tous les citoyens devant l’État et devant la Loi. La laïcité s’avère la condition essentielle au respect d’un véritable pluralisme sociétal », peut-on lire dans le mémoire du regroupement de juristes de renom.
À l’heure actuelle, l’« absence de balises législatives interprétatives claires engendre la confusion et l’insécurité au plan juridique, en provoquant le recours systématisé au concept d’accommodement raisonnable ».
À vrai dire, en demeurant les bras croisés, les élus ont favorisé une « hyperactivité» du pouvoir judiciaire. « Et sous le couvert du cas par cas, les tribunaux sont appelés à établir des politiques publiques, exercice pour lequel ils ne sont pas outillés. »
La permission offerte à tous les fonctionnaires de l’État d’arborer des signes religieux, mine la neutralité de l’État, en plus de heurter la liberté de conscience des citoyens qui n’adhèrent à aucune foi religieuse.
En effet, le statu quo législatif — ou laïcité ouverte — entraîne des atteintes la liberté de conscience, qui est pourtant protégée au même titre que la liberté de religion, déplorent les Juristes. « Les objections de conscience et autres revendications fondées sur ce motif sont généralement reléguées au rang de simple “conflit de valeurs”», font-ils remarquer.
Enfin, les Juristes exhorteront le ministre Bernard Drainville à réviser la « facture » du projet de loi 60, qui a des allures de « loi fiscale ». « Le projet de loi 60, dans son ensemble, manifeste une sorte de fébrilité. Il veut tout prévoir, tout préciser, ce qui s’accorde mal avec son état de Loi fondamentale, destinée à tous et non pas à des experts », concluent-ils.
Le Devoir
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